Du naufrage de l’action publique en matière d’éducation dans l’école numérique

On n’a jamais autant parlé de l’école qui change avec le numérique. Jamais. Pour ceux qui, comme moi, s’efforcent de suivre l’actualité de ce chantier et d’en partager la progression, la littérature ne manque pas, même si elle se limite parfois à des tweets en 140 caractères, voire 280 aujourd’hui, qui relaient certes une actualité beaucoup plus dense et riche.

On ne compte plus, un peu partout en France ou même en Francophonie — c’est plus facile à suivre — les séminaires, les colloques, les hackatons, les symposiums, les rencontres, les rendez-vous, les conférences et autres réunions, dont la répétition, trimestre après trimestre, année après année, témoigne de la vigueur et du succès.

On ne fait pas non plus le compte des travaux de recherches sur l’école numérique, même si la recherche tarde encore à faire évoluer ses méthodes ou à poser les bonnes questions. J’aurai sans doute l’occasion d’y revenir.

Pour ma part, je n’ai de cesse de me réjouir de découvrir, à l’occasion de telle ou telle rencontre, virtuelle ou réelle, le travail ou la réflexion de professeurs, de cadres, d’élèves même, compétents et enthousiastes, de découvreurs, de pionniers — curieusement sur ce sujet, oui, en 2018 —, d’expérimentateurs, d’enseignants qui osent, y compris contre les règlements ou lois iniques ou contre ceux qui veulent les asservir, au nom de règles de sécurité ou de morale stupides. Que tous ces gens soient compétents et enthousiastes, ouverts et bienveillants, ne les empêche nullement d’exercer leur raison ou même, c’est mon jour de bonté pour faire plaisir au ministre, leur discernement.

Tout récemment, au dernier Carnaval numérique qu’organisait l’An@é, on a même entendu un directeur du numérique éducatif proclamer avec force et conviction, contre les ronchonnements et les démangeaisons apeurées d’un de ses contradicteurs, les vertus innombrables et fortement émancipatrices du numérique.

Mais bon, ce directeur trop intelligent va quitter son poste, comme celle qui l’a précédé. Ou alors il est forcé à démissionner, ce qui revient au même.

Entre inculture, désintérêt profond et procrastination

Mais à quoi bon ? Rue de Grenelle, on a décidé, contrairement à toutes les prévisions raisonnables sur le sujet qui laissaient penser qu’en la matière, celle de la mise en œuvre du numérique éducatif, on allait faire confiance au terrain, comme on dit, c’est-à-dire aux équipes éducatives, dans les écoles et établissements, on a décidé en haut lieu, vous disais-je, qu’il convenait d’attendre, voire de procrastiner.

On attend, on s’interroge, on suppute, on tergiverse, on ne répond ni aux questions des journalistes, ni aux interrogations de la CNIL, des éditeurs et hébergeurs de contenus ou des collectivités.

En fait, en haut lieu, on s’en fout. On fait montre, à l’évidence, d’une incapacité d’une vision un tant soit peu éclairée des grandes mutations de ce siècle et des conséquences sur l’enseignement à l’heure de l’irruption du numérique. Au-delà du vide de la réflexion institutionnelle, le néo-obscurantisme guette. Sur le sujet, par exemple, de l’utilisation négociée et raisonnée en classe des mobiles multi-fonctions, les smartphones en quelque sorte, sujet sur lequel travaillent, pour avancer de manière positive, en relation avec les collectivités et des éditeurs de contenu, des équipes nombreuses, au ministère même, à la direction du numérique éducatif, comme dans les délégations académiques ou les ateliers du réseau Canopé, notre ministre ne propose rien d’autre que d’obscures voire obscurantistes solutions techniques qui témoignent de son incapacité à mettre en œuvre une réflexion éducative. À moins qu’il ne s’agisse, on ne sait, de son inculture chronique ou de son zèle à ne pas contrarier celui qui l’a fait ministre.’

Un autre chantier important, celui si sensible de la préservation des données personnelles des élèves, bien précieux dont sont soucieux à juste titre leurs parents, avait fait l’objet de longues négociations entre les services du ministère, la CNIL et les éditeurs et hébergeurs de contenus éducatifs. Ces négociations avaient abouti à l’élaboration d’une « charte de confiance des services numériques pour l’Éducation ». Fort bien. Là-dessus, on ne fait pas qu’attendre ou procrastiner, on enterre, soigneusement et délibérément. Où est la charte ? Personne ne le sait.

Les exemples sont pléthore de chantiers ensevelis, d’avancées déjà timides complètement entravées. Je ne pose même pas la question de l’état du grand plan numérique, déjà bien dépassé avant d’avoir été mis en œuvre. Les collectivités territoriales grincent des dents.

Les quelques annonces déjà faites n’augurent rien de bon. À propos du baccalauréat, en particulier, et de la réforme du lycée, on aurait pu s’attendre à une réflexion osée et résolue pour faire de ce passage obligé avant l’université un moment de préparation à cette dernière où sont évaluées de manière positive et particulière les compétences à collaborer, à co-construire, à produire une réflexion qui se nourrit de connaissances disponibles qu’on s’est appropriées plutôt qu’à continuer à restituer, de manière identique à celle du dernier millénaire, des connaissances apprises.

On aurait pu imaginer cela, à l’identique de ce qui se passe ailleurs, dans de nombreux pays, où cette réflexion avance et où les modalités d’évaluation changent. On aurait pu.

Si, ajouté à cela, on se fait la remarque que notre ministre convoque, pour appuyer ses dossiers, de mystérieux mais supposés experts, dignes représentants d’une élite intellectuelle débranchée, qui n’ont d’autre capacité que de formuler des réponses, façon zinc de bistrot, à des questions que personne ne pose, on pourrait se dire qu’on est mal partis et qu’il faut déprimer.

Sauf à imaginer le visage de ces gens apeurés et paniqués à l’idée que tout change et que la jeunesse n’a plus besoin d’eux — ou d’elles, hein, pas de jalouses.

Là, ce n’est pas 20 ans qu’on a perdus, mais beaucoup plus.

Michel Guillou @michelguillou

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Nota bene : Nombre de mots de ce texte doivent, au masculin, être considérés comme neutres et non sexués.

Crédit image et photo : Par HokusaiMetropolitan Museum of Art, base de données en ligne : entrée 45434, Domaine public, Lien et Pxhere.

 

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5 commentaires pour “Du naufrage de l’action publique en matière d’éducation dans l’école numérique
  1. 2Manyteachers ? dit :

    Mais rassurez-vous Michel, pendant tous ces temps de discussions , d’interrogations, de colloques et de serrages de mains certains d’entre nous expérimentent, essaient, se plantent, gardent les dispositifs qui fonctionnent. Ils hackent, tirent des fils, récupèrent et installent dans leur classe sans rien demander à personne et sans rien attendre d’autre que (quoi que …)les progrès des élèves et l’amélioration du climat de classe.
    Merci pour ce bel article qui résume encore une fois très bien une situation enlisée.
    Bonne journée
    2Mtchrs ?

  2. Comme tous tes articles c’est toujours tristement beau et juste. Ca fait quand même suer d’assister impuissants à ce naufrage. Merci toutefois pour ce bel hommage à ceux qui ne lâchent rien et se battent envers et contre au service de leurs élèves.

  3. brunodev dit :

    Cher Michel
    Il me semble que ton texte souffre d’un certain manque d’informations.
    Par ailleurs ton analyse mérite une critique : le contexte des établissements semble loin, la recherche semble loin… l’entre soi de nombreuses manifestations consacrées au numérique peut provoquer cela…
    Dommage
    Amicalement
    Bruno

    • Quelles infos n’aurais-je pas ? Certes, je n’ai pas fait la liste exhaustive des chantiers arrêtés mais ce n’était pas mon propos…
      Et, pour tout te dire, je n’ai pas compris ta deuxième critique…

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