Une fois de plus, j’étais l’heureux invité, parmi d’autres, du colloque organisé chaque année par le conseil départemental des Pyrénées-Atlantique. En cette fin janvier 2018, c’était en Pays basque, à Bayonne, dans le cadre, l’après-midi pour les ateliers, du magnifique collège Marracq, voir ci-dessus.
La dixième édition donc du colloque Eidos64, avec un thème original « Innover en classe : la résistance est-elle (f)utile ? » et une volonté « promouvoir l’engagement des enseignants vers une démarche de recherche, une ouverture sur les apports de la science et des technologies couplée à une attitude réflexive sur le travail mené en classe et les besoins des élèves, qui les amènent à chercher, seuls ou en équipe, de nouvelles façons d’enseigner ».
D’innovation, on en a beaucoup parlé le matin. Beaucoup. D’une manière plutôt décalée et pas trop institutionnelle, ce qui a eu l’heur de me plaire.
Mais d’innovation, il en fut surtout beaucoup question dans les nombreux ateliers de l’après-midi. Je ne sais pas si celui qu’on m’avait demandé de prendre en charge était très innovant — j’ai un fort doute à ce sujet, j’y reviens —, j’espère simplement qu’il fut utile à ceux de nos auditeurs qui s’y sont déplacés.
Sortez vos smartphones !
Tel est le titre que j’ai donné à cet atelier. Il y a 4 ans, j’avais écrit un article « Sortez vos ordiphones ! » qui me semblait être l’appellation suggérée pour éviter l’anglicisme. Depuis, les commissions de terminologie ont changé et souhaitent qu’on appelle ces bidules des « mobiles multi-fonctions ». Peu importe, vous avez compris de quoi je parle !
Avec moi, devant l’auditoire assis, comme il convient dans une salle de classe, près du tableau blanc sur lequel je vidéoprojetais le diaporama ci-dessus — il était augmenté des contributions de mes collègues que je ne vous présente pas sans leur autorisation et surtout, cela n’aurait guère de sens en l’occurrence, sans le commentaire qui allait avec leur présentation —, Anne Keller, principale du collège Olympe-de-Gouges à Ingwiller dans le Bah-Rhin, et sa collègue Bénédicte Pugin, professeure de français, Marie Soulié, la régionale de l’étape comme je l’ai appelée puisqu’elle, professeure de français elle aussi, travaille au collège Daniel-Argote d’Orthez, David Cohen enfin, médiateur ressources et services numériques à l’atelier Canopé de Nice.
Tous ces collègues ont témoigné de la manière dont les téléphones personnels pouvaient être utilisés en classe ou au-delà de cette dernière, pour des pratiques ponctuelles, décidées par le professeur ou encadrées, comme à Ingwiller, par une charte dont on a convenu. Dans tous les cas, il s’agissait d’expérimentations puisque, j’en ai suffisamment parlé ici et vous le savez maintenant, la loi, dans le code de l’éducation, et la parole politique interdisent ces pratiques. Un panorama fort riche à la hauteur des enjeux.
Q1 – l'article interdisant l'usage des telephones existait déjà depuis 2010, mais l'article permettant le droit d'expérimenter existe aussi et permet (avec aide des autorités compétentes) de se lancer dans une expérimentation suivie #recitqc pic.twitter.com/szrUhkedGs
— David Cohen (@davidcohenartpl) February 13, 2018
Les échanges qui ont suivi avec la salle, quoique trop courts, un peu trop techniques à mon goût, alors que les problèmes posés sont au cœur des apprentissages et de la pédagogie, ont néanmoins été riches et très cordiaux. Pour tout dire, je m’attendais, comme ça s’est déjà produit — j’en ai un peu l’habitude —, à des propos contestataires ou révoltés, que nous aurions néanmoins pu comprendre et considérer. Le consensus était, semble-t-il, dans la salle bien remplie, pour avancer sur ce sujet, de manière raisonnée et raisonnable.
Tout le contraire donc de la manière dont aujourd’hui le prennent en charge nos élites politiques ou institutionnelles. Se reporter, pour savoir ce que j’en pense vraiment, à des articles récents sur le sujet : après quelques « Petites suggestions pour restaurer l’autorité du chef de l’État en Conseil des ministres », je m’étais permis d’alerter sur les risques d’un néo-obscurantisme numérique en donnant « Des nouvelles toutes fraîches de l’école des Lumières ».
[Mise à jour du 30 mars 2018 : la vidéo de l’atelier]
La transmission des connaissances et la posture magistrale
De très loin, l’enjeu majeur de cette innovation supposée, que l’administration s’acharne à encadrer — il faudra en reparler — à défaut de pouvoir l’empêcher, est bien celui noté comme quatrième point de ma diapositive finale :
C’est bien la manière dont se transmettent aujourd’hui les connaissances qui est en jeu. Répétons-le pour que cela soit bien compris : le maître n’est plus le dépositaire exclusif du savoir. Ce dernier est disponible partout, urbi et orbi, en utilisant par exemple le bidule que les élèves possèdent, puisque leurs parents leur en ont achetés, et qu’ils pourront prendre en main en classe, si on les y autorise.
« L’école est plongée dans ce nouveau “milieu” dont elle ne peut faire abstraction ; le cadre dans lequel se produisent et se transmettent les connaissances ne peut plus être un sanctuaire, il s’est considérablement élargi, l’autorité et les savoirs sont distribués différemment. Il faut non seulement intégrer ce nouvel environnement culturel et sociétal, mais aussi repenser globalement l’économie de notre école, les lieux, les gestes et les temps d’apprentissage, les rythmes, la relation avec les partenaires et les territoires, les interactions entre les acteurs. »
Ainsi s’exprime Catherine Becchetti-Bizot sur le blogue École de demain en répondant à des questions à propos de son rapport qui souhaitait repenser la forme scolaire à l’heure du numérique. Rappelez-vous, j’en ai déjà longuement parlé.
Ces nouvelles manières d’enseigner sont inéluctables et, je crois, si on s’éveille un peu aux mutations de ce monde, nécessaires. La posture immémoriale du maître omniscient va se dissiper, comme se dissipent toutes les figures d’expertise, toutes les représentations verticales. Les professeurs devront faire avec et comprendre qu’on puisse contester et remettre en cause leur parole. L’exercice est violent, je le conçois, d’où l’avantage à s’y préparer et à changer au fond les manières d’enseigner et d’apprendre.
Je cite à nouveau Catherine Becchetti-Bizot :
« … le numérique nous oblige à inventer de nouveaux scénarios d’enseignement, à prendre en compte les nouveaux comportements des jeunes et à leur donner les connaissances, les repères et les compétences indispensables pour comprendre le monde dans lequel ils vivent, ses codes, ses langages, ses modes de fonctionnement, ses risques de manipulation ou d’exploitation, et devenir des citoyens éclairés, libres et responsables. »
Devenir des citoyens éclairés, libres et responsables, c’est bien le propos. David Cohen y pensait aussi, lui aussi, en réalisant les affichettes ci-dessous dont il a accepté qu’elles accompagnent ce billet. Faites-en bon usage !
Tiens, un usage approprié du mot « usage » ! C’est rare.
Michel Guillou @michelguillou
Nota bene : Nombre de mots de ce texte doivent, au masculin, être considérés comme neutres et non sexués.
[cite]
Bonsoir Michel,
Merci pour ton éclairage fort intéressant comme d’habitude…
Juste une coquille : c’est Ingwiller avec un G, même si lenumérique fait toujours couler beaucoup d’encre, virtuelle ou non.
Merci, c’est corrigé ! Et mes excuses aux Alsaciens.
Il te sera beaucoup pardonné, d’autant qu’au niveau de la prononciation, dans les toponymes alsaciens, le g se rapproche souvent du k
J’ai peur, nous avons déjà discuté, que la question de l’innovation ne se réduise pas à ce changement postural. Ou que celui-ci ne sera pas suffisant pour transformer l’Ecole.
Notre Ecole a été construite il y a des siècles sur un modèle et pour des objectifs qui n’existent plus.
Tant que ceux-ci ne seront pas clarifiés, il sera difficile de re-designer les moyens de les atteindre.
Ce design nécessiterait pour bien faire de partir d’une page blanche.
Si nous considérons que sont immuables les découpages administratifs 1er degré/collège, les disciplines, l’obligation de venir tous les jours au collège ou au lycée, la salle de classe parallélépipédique, etc.
S’il faut innover à l’intérieur de ce cadre contraint, ce sera compliqué. Mettre des roulettes aux chaises et aux tables ne suffira pas. Pas plus que le TBI…
D’autant qu’à de rares exceptions près les cadres (en très grande souffrance aujourd’hui) ne sont pas formés pour accompagner le changement.
Et cette culture du contrôle…là où pour innover il faudrait tant de confiance.
Je suis tombé sur le site de la FESPI (fédération des établissements scolaires innovants : http://www.fespi.fr/les-espis/carte-des-espis/). 10 petits points sur a carte. Même pas 1 par académie (30).
Quand le ministre aura terminé de faire semblant de rénover le bac, il pourrait avec les collectivités ouvrir le chantier du design de l’Ecole de demain. En posant par principe qu’il n’y a pas qu’une solution à la question et que peut-être pourraient exister différents types d’écoles, collèges, lycées.
Que ce propos ne m’empêche pas de dire toute mon admiration pour ceux qui au sein de toutes ces contraintes, avec courage et bienveillance, mettent toute leur créativité au bénéfice de leurs élèves.
J’aimerais seulement qu’ils ne soient pas « instrumentés » pour masquer la forêt de tout ceux qui n’ont pas pu/su (encore) transformer leurs pratiques. Souvent, parce que ces fameux « cadres » sont des prisons pour l’esprit, comme pour l’action.
Je valide in extenso.