C’est l’excellent article de Jean-Michel Planche qui m’a fait lever une paupière en cette triste journée de novembre. Il commente sur son blog l’intervention faite à Avignon, le 18 novembre dernier, par notre président qui nous dit :
« Sans contenu culturel, qu’est-ce qui reste dans Internet ? Le jour où il n’y aura plus de musique, de cinéma, d’écrivains… qu’est ce que votre génération ira chercher sur Internet ? »
Voir cette intervention ici.
Pour Jean-Michel Planche, la réponse est claire :
« L’Internet, même sans contenus se développera…
En effet, l’Internet, ce n’est pas un site web, ce n’est pas le moyen de voir ce que l’industrie, sous prétexte de « business géographique » et de « chronologie des médias », nous refuse, ce n’est pas Facebook, ni Google, ni Wikileaks ou autre. L’Internet n’est pas un réseau de diffusion, qui serait l’enjeu de quelques-uns pour s’en assurer le monopole. »
La question, et, en particulier, celle du monopole, vaut d’être posée pour ce qui concerne les ressources numériques à disposition des enseignants sur des sites web (rarement), dans des bouquets ou canaux numériques via des ENT (le plus souvent). Il est un dogme de l’Éducation nationale qui laisse accroire que les ressources doivent venir d’en haut sous l’œil bienveillant et protecteur de l’Inspection générale, élaborées par ceux qui savent les faire, sous-entendu les éditeurs de contenus numériques pédagogiques, de préférence payants et bardés de DRM.
Ces ressources numériques — j’entends par ces mots l’ensemble des manuels numériques ou, pire !, numérisés, ainsi que les sites web ou applications qui proposent des documents à utiliser en classe ou à la maison dans le cadre de l’enseignement obligatoire — ont un certain nombre de propriétés très fréquentes voire communes :
- elles sont proposées dans des formats qui ne permettent que rarement de les utiliser sur toutes plateformes et de les échanger ;
- leurs systèmes de licences ou de verrouillage sont très contraignants voire bloquants pour une utilisation sans souci ;
- elles n’utilisent que peu les fonctionnalités du numérique, notamment celles qui permettent le travail collaboratif, se contentant d’être le résultat de la numérisation d’anciennes ressources ;
- elles ne répondent que rarement aux vrais besoins des enseignants ;
- elles sont pauvres et souvent recyclées à partir de vieilles ressources mal vendues et pourtant déjà largement subventionnées…
C’est aussi ce que dit un peu Caroline d’Atabekian dans une interview récente :
« La plupart des manuels numériques tels qu’ils sont conçus et utilisés aujourd’hui ne donnent aucune marge de manœuvre aux élèves […], l’élève, lui, est toujours voué à le [le manuel] regarder passivement, fût-ce sur un support de projection. […] Ils [les manuels] ne développent aucune compétence en terme de culture numérique.
Par ailleurs, ils sont conçus comme des systèmes d’information prétendument ouverts, mais en réalité enfermants […] un peu comme s’ils cherchaient à retenir, à contenir les velléités de butinage de ressources sur le Web. »
Ces remarques valent, à quelques rares exceptions, pour l’ensemble des ressources numériques.
Alors ?
Il faut retenir de tout cela que la plupart des professeurs continuent à se débrouiller seuls, préférant partir à la recherche des immenses ressources — de préférences libres — du web, appréciant aussi de les partager, participant à leur enrichissement et à leur évolution, et de les mettre à disposition des collègues.
Une fois de plus, c’est donc fort heureusement la logique du flux qui prévaut contrairement au modèle qu’on cherche à nous imposer d’une logique de stock. Cette première logique est reprise par les nombreux groupements ou associations de professeurs qui privilégient ces démarches d’échange, de partage et de collaboration, Weblettres, Sesamath, Clionautes… ou même par des CRDP avec, par exemple, Audio-lingua pour les professeurs de langue.
Quand les éditeurs de contenus numériques vont-ils prendre conscience de cela ? Quand vont-ils, sans frilosité ni retenue aucune, s’engager dans la société numérique et réfléchir, avec les utilisateurs d’abord, à élaborer et partager des ressources de qualité ? Quand vont-ils d’affranchir de cette logique sclérosante de gestion de droits des auteurs, qui date des siècles derniers, et enfin travailler à une économie de services ?
Une leçon à retenir pour la politique numérique culturelle de la France ?
Michel Guillou @michelguillou
[cite]
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