Tout cela a commencé, paraît-il, avec Nicolas Sarkozy, que plus personne n’écoutait guère, le mercredi matin, au Conseil des ministres. Oh ! il y a déjà plusieurs années, vers la fin de son dernier quinquennat. D’abord, c’était les journaux du jour, négligemment posés sur la table, auxquels on jetait un œil quand on n’était pas concerné, quand le projet de loi présenté n’avait strictement aucun rapport avec ses propres dossiers.
Ils furent nombreux à se faire vertement réprimander à ce sujet.
De mal en pis au sommet de l’État
Personne n’avait alors osé sortir une tablette ou même un ordinateur portable pour prendre des notes. On savait qu’on s’exposait et que l’engueulade était proche. Tout cela n’empêchait personne, les plus jeunes en particulier, François Baroin, Benoist Apparu… de consulter leur smartphone sous la table, pour un ou deux textos, pour vérifier tel ou tel chiffre, pour récupérer les dépêches de l’AFP. François Fillon n’y voyait que du feu.
C’est pendant le quinquennat de François Hollande que la répression a pris de l’ampleur. La première à subir les foudres de Jean-Marc Ayrault à ce sujet fut Delphine Batho qui avait osé sortir une tablette, on ne sait d’ailleurs pas trop pour quoi faire. Un beau jour, pendant un long, très long, trop long discours du président, Arnaud Montebourg et Aurélie Filipetti se sont mis à échanger tranquillement des textos sous la table. Manuel Valls les a dénoncés. L’habitude était prise et il ne se passait pas un mercredi matin sans que les smartphones sortent à tout propos, non pour répondre au téléphone, chacun sait se tenir et mettre son mobile sur silencieux, mais pour échanger divers messages privés en interne ou de ou vers l’extérieur.
Tout cela agaçait tant le ministre de l’Intérieur que, devenu Premier ministre, Manuel Valls a très vite demandé qu’on rédige une sorte de règlement intérieur qui était censé interdire, pendant les réunions au salon Murat de l’Élysée ou à Matignon, l’utilisation de tous les outils numériques, baladeurs, smartphones, tablettes, ordinateurs ainsi que tous les objets connectés. Tout était prévu dans ce règlement et, notamment, l’ensemble des sanctions encourues, qui allaient de la confiscation pendant la séance jusqu’aux pénalités financières. Bernard Cazeneuve était en charge de tenir un compte précis de ces dernières.
Mais rien n’y faisait et tout allait de mal en pis. Un jour, Fleur Pellerin s’est fait prendre à regarder sa montre connectée dont elle se servait pour échanger avec son cabinet. Personne n’en a parlé alors, mais le Premier ministre l’a privée de Conseil des ministres pendant un mois et lui a confisqué sa montre pendant la même période. Tout cela assorti d’une lourde amende.
Le quinquennat s’est terminé dans la confusion la plus totale, chacun s’efforçant de mettre en œuvre les solutions les plus inventives pour passer outre la réglementation.
Et puis nous avons aujourd’hui un nouveau président, qui a nommé son Premier ministre. Un nouveau ministre de l’Éducation nationale a été alors nommé, Jean-Michel Blanquer, qui, répondant récemment aux questions des journalistes de France 2, disait :
« Par exemple, en Conseil des ministres, il y a un casier. On y met son téléphone portable, et ensuite, on rentre en Conseil des ministres, de sorte qu’on n’est pas interrompu. »
Oh la merveilleuse idée à laquelle personne, jamais, n’avait pensé pendant les deux quinquennats précédents !
C’était sans compter sans l’ingénieuse turpitude des jeunes ministres ou secrétaires d’État qui usent de tous les stratagèmes pour faire comme s’ils étaient chez eux ou dans leur ministère et ne pas changer leurs habitudes. Ainsi, on a vu tour à tour, lors du dernier Conseil, de jeunes ministres prétendre avoir oublié leurs smartphones, ou en déposer un vieux dans la boîte. Et puis cela n’a pas mis un frein à l’utilisation des tablettes, dont beaucoup sont connectées.
Il est vrai que ces dernières rendent beaucoup de services. Au-delà de la simple prise de notes, on a vu, au grand dam du président Emmanuel Macron, de jeunes ministres, concevoir et montrer de jolis graphiques, prendre une photo rapide d’un document qui circule, échanger quelques propos sur messagerie d’un bout à l’autre de la longue table centrale.
Et tout cela agace prodigieusement Jean-Michel Blanquer qui a, lui, rangé sagement son smartphone dans la boîte.
Comment sortir de l’impasse ?
Car c’est une impasse. De répression en réglementations draconiennes, il faut bien observer que l’autorité et la légitimité du président de la République et du Premier ministres sont sans cesse remises en question. C’est tout l’État qui tremble. Chaque prise de parole d’un des deux plus hauts personnages de l’État est un défi à la capacité d’attention des ministres dont la considération pour la parole présidentielle ne cesse de s’étioler.
À mon avis, deux solutions tout aussi raisonnables l’une que l’autre peuvent être envisagées et mises en œuvre.
La première consisterait à prendre exemple sur nos estimés collègues universitaires chinois.
Ces derniers ne tremblent pas devant l’invasion technologique et la remise en question de l’autorité et de la légitimité magistrales :
« If students attempt to privately bring their phone into school and don’t report them, and if they don’t have a permit to carry a phone, we’ll soak them in water and smash them. »
À essayer, peut-être.
La deuxième consisterait à prendre en compte qu’il s’agit d’un problème collectif, qui touche le « vivre ensemble » et la considération que chacun a de l’autre, des autres, à quelque place qu’ils ou qu’elles soient. Ainsi, il serait possible d’envisager de négocier, de convenir — rappelez-vous, le préfixe « co » convient bien à la mise en œuvre des opportunités du numérique, opportunités parfois déstabilisantes —, de nouvelles dispositions communes et partagées qui énoncent ce qu’il est possible de faire ou de ne pas faire, une sorte de consensus social, avec ces petites machines surpuissantes et si pratiques, parfois.
Toute cette réflexion aboutirait à une charte des pratiques numériques dans les réunions ministérielles, certes sans doute contraignante mais qui sera d’autant plus facile à respecter que chacun y aura apporté sa pierre et se sentira concerné. Une charte ou convention qui n’aurait rien à voir avec un règlement incompréhensible imposé par la hiérarchie…
Un zeste de raison, encore une fois. Ne me remerciez pas. Mais il faut maintenant faire un choix.
Michel Guillou @michelguillou
Crédit image : site du gouvernement
[cite]
Chers élèves pas de panique, le conseil des sinistres est un microcosme particulier, très particulier probablement.
Évidemment, pareille chose ne saurait arriver dans un environnement «normal», par exemple dans un collège ou un lycée. Une relation de confiance entre l’enseignant et vous, les élèves, pourra réguler tout cela sans être obligé d’interdire successivement les scoubidous, les walkmans (si si j’ai connu, je suis vieux), les lecteurs MP3, les téléphones, les smartphones, les montres connectées, les handspinners, les machins de l’an prochain, les bidules de dans deux ans et les trucs dont personne ne pense à présent.
De toutes façons, chers élèves, vous n’aimez pas plus que vos profs en venir au conflit et même si vous râlez souvent, l’un dans l’autre vous êtes plutôt conciliants. Et puis vous avez pris l’habitude avec le zinzin de la salle 112, parfois vous vous servez de votre smartphone pour travailler. Parfois vous râlez parce que vous ne l’utilisez pas alors que vous trouvez que c’est normal de travailler comme ça. Oui, c’est dommage de pas faire ça plus souvent, parce que justement, c’est normal pour vous.
Le problème, c’est que j’ai une mauvaise nouvelle. Le ministre a décidé que ce n’était pas bon pour vous tout ça. Il faudra déposer votre téléphone dans un casier en arrivant le matin.
Alors je vous donne un truc, mais ne le répétez pas. Vous allez à la déchetterie la plus proche, vous farfouillez dans la benne à déchets électronique et vous trouverez bien un smartphone à peu près présentable. Si l’écran est cassé ce n’en sera que plus ressemblant à celui d’un ado. Plus de batterie ou de carte SIM, on s’en fout. Le matin en arrivant, vous déposez celui-là dans le casier et vous gardez le vrai en poche, tranquille. Comme ça, en entrant dans la salle 112, vous pouvez le sortir et on pourra continuer à bosser normalement.
Oui, Jean-Kévin une remarque ? Ah, vous connaissiez déjà le truc ? Vous avez utilisé ça pendant le soir pendant la classe de neige ? Ah bon, donc encore une fois je ne vous ai rien appris. Bon d’accord.
« Évidemment, pareille chose ne saurait arriver dans un environnement « normal », par exemple dans un collège ou un lycée » ! Où vas-tu chercher ça ? Qui pourrait imaginer un truc comme ça dans un établissement scolaire ? Évidemment que non…