Décidément, ce thème de l’enseignement du numérique est dans l’air du temps… Il y a comme un frémissement…
Je passe rapidement sur l’initiative anachronique mais plutôt réussie des lobbys de l’informatique qui, en confisquant la culture numérique, ont réussi à persuader les pouvoirs publics de mettre en place un enseignement de spécialité « Informatique et sciences du numérique » dans la seule classe de terminale S… Un enseignement de l’élite pour l’élite…
Je vous faisais part aussi, dans un billet très récent, de mes réflexions du moment quant aux invraisemblables amalgames induits par ces persistants discours maladroits et confus venus de toutes parts à propos d’informatique et de numérique. Je proposais, pour y voir clair, à l’école, donc aux pouvoirs publics, de fixer des priorités qui, pour moi, devaient être celles d’une culture numérique :
« Convient-il d’apprendre l’informatique pour devenir un citoyen ? Et un citoyen acteur de la société numérique ? Sans doute aussi la compréhension du code, des algorithmes et des mécanismes de gestion des données, le mode de fonctionnement des machines et des logiciels sont-ils importants mais les enjeux du numérique sont tels qu’il y a sans doute d’autres priorités. »
Hier matin, le député Jean-Michel Fourgous remettait son rapport n° 2 « Apprendre autrement à l’ère numérique ». Ce dernier, parmi d’autres propositions, suggère d’enseigner le numérique comme on enseigne le français :
« Le numérique doit être enseigné afin de développer l’autonomie d’utilisation de tous les élèves, de favoriser l’égalité des chances de réussite et de permettre de former les jeunes aux métiers qui se créent. »
Jean-Michel Fourgous essaie de faire passer l’idée d’une discipline spécifique :
« Créer une matière ou des modules avec un référentiel de compétences numériques permettant de former nos enfants à la société numérique »
Olivier Ertzscheid @affordanceinfo, hier encore, sur son blog, s’interroge : « Et si on enseignait vraiment le numérique ? ».
« L’école, le collège, le lycée et l’université doivent être les garants d’une citoyenneté numérique », plaide-t-il…
Il va plus loin encore en précisant sa pensée :
« Enseigner l’activité de publication et en faire le pivot de l’apprentissage de l’ensemble des savoirs et des connaissances. Avec la même importance et le même soin que l’on prend, dès le cours préparatoire, à enseigner la lecture et l’écriture. »
Pour lui, savoir publier fait déjà partie des fondamentaux que doit enseigner l’école et il craint beaucoup, pour le plein exercice de la citoyenneté numérique, les dégâts d’un analphabétisme de la publication.
Un enseignement transversal ou une nouvelle discipline ?
Pour ma part, j’ai toujours pensé, et exprimé l’idée ici-même, qu’une acculturation numériqueétait indispensable, au-delà des connaissances scientifiques et technologiques nécessaires. L’école doit prendre en charge la culture numérique, comme elle prend en charge les cultures humaniste, scientifique, littéraire, artistique, économique…
La question est alors la même que celle que j’ai posée récemment dans ce billet : qui s’y colle ? J’avais relayé l’idée que ce travail pouvait, dans l’enseignement secondaire, être confié aux professeurs documentalistes.
Le deuxième rapport Fourgous ne croit pas au partage de l’enseignement de cette culture :
« Il est temps de sortir de la conviction irréaliste que le numérique est l’affaire de toutes les disciplines : cela ne peut pas conduire à une formation adéquate. »
Mieux (pire, à mon avis), il propose que cet enseignement spécifique soit partagé entre le professeur de technologie et le professeur documentaliste !
J’avais eu la chance d’être entendu par l’équipe qui a participé à l’élaboration du premier rapport de Jean-Michel Fourgous « Réussir l’école numérique » et j’avais tenté, sans trop y croire, de faire passer l’idée, d’un travail spécifique, modulaire et complémentaire aux enseignements obligatoires, d’éducation aux médias et à la citoyenneté numérique.
Dans mon esprit, cet enseignement, obligatoire, de la maternelle à l’Université, aurait pu, dans un premier temps, être confié à des enseignants volontaires dont la compétence ou l’expertise est reconnue, voire certifiée (C2i2e), les professeurs documentalistes étant souvent les mieux placés pour ce faire.
Dans mon esprit aussi, cela ne peut être que temporaire. À évènement extraordinaire, dispositions transitoires, car la révolution culturelle numérique est vouée à imprégner — le mot est trop faible — l’ensemble des champs disciplinaires.
Les référentiels existent déjà. Le rapport Fourgous n° 2, page 56, en décline un tout à fait intéressant en quatre grands axes :
- Être autonome, savoir se former et s’adapter
- Communiquer et travailler de manière collaborative
- Devenir créatif
- Devenir responsable et « citoyen numérique »
Il y a là matière à réfléchir et construire un programme particulièrement enthousiasmant et prometteur, que j’aurais, pour ma part, aimé mettre en œuvre, à l’opposé de la vision étroite et si peu ambitieuse qui nous est aujourd’hui proposée.
Oublions le présent. Et si on s’y mettait dès la rentrée prochaine ? Il y a urgence maintenant.
Michel Guillou @michelguillou
Crédit photo : woodleywonderworks via photopin cc
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