À l’instant même de sa nomination, le nouveau ministre de l’Éducation nationale annonçait vouloir revenir sur la semaine de quatre jours au premier degré et lancer une large consultation sur les rythmes scolaires.
Depuis cette annonce, le microcosme ne parle que de ça, voir notamment les excellents commentaires d’Antoine Prost et de Sébastien Rome.
On annonce par ailleurs çà et là, à grands frais, une refondation ou une reconstruction de l’école. Mais sur quelles bases ? À lire les articles de presse ou les points de vue sur le sujet, tout le monde semble convaincu qu’il s’agit là de l’un des chantiers prioritaires de l’État. On rappelle les grandes valeurs de l’école, la laïcité, l’égalité, on propose de changer l’enseignement professionnel, le baccalauréat, le lycée, l’orientation, on remet en question le collège unique, on annonce que le premier degré et la maternelle sont des priorités… Fort bien. Parlons-en.
Mais rares sont les voix qui se font entendre à propos de ce qui me semble être le profond et fondamental défi qui est déjà et sera bientôt, de manière plus intense encore, proposé à l’école et à ses maîtres : celui de la nécessaire évolution des savoirs et donc des disciplines.
On peut pourtant entendre le psychologue Jacques Nimier sur le sujet :
« Il y a cent ans, la calligraphie faisait partie des savoirs à enseigner ; puis l’objectif, cinquante ans plus tard, fut principalement la lecture ; dans nos lycées, nous étudions maintenant la forme du discours ; bientôt il s’agira peut-être de la mise en forme des données numériques puis, sans doute, du savoir accéder aux informations. »
Et Jacques Nimier d’enchaîner, car il a compris l’importance du numérique et ses enjeux :
« D’un monde sous-informé nous passons progressivement à un monde sur-informé. L’enseignant était celui qui apportait l’information manquante, il semble devoir devenir celui qui apprend à accéder à l’information, à la trier, à la hiérarchiser. »
Il apparaît donc nécessaire de modifier profondément les missions assignées aux professeurs et donc les rapports de ces derniers avec leurs élèves, de modifier les formes d’enseignement, de modifier enfin en profondeur la cartographie des savoirs à enseigner et des disciplines. Ces dernières, qui ne sont, comme le rappelle Jacques Nimier, qu’un découpage arbitraire de la réalité, une réalité d’ailleurs exclusivement calquée sur celle de l’Université, sont condamnées à interagir entre elles. « Une vue globale et systémique et non plus strictement disciplinaire sera indispensable à l’enseignant », annonce-t-il.
On voit bien, dès lors, combien le débat en cours ou à venir sur les temps et les rythmes scolaires ne peut s’affranchir d’une réflexion sur la carte des savoirs et des disciplines, en même temps que d’un profond débat sur la nature même des apprentissages.
Ainsi, s’il est nécessaire que d’autres formes d’enseignement apparaissent, que des croisements disciplinaires se mettent en place, que de nouvelles compétences liées aux cultures sociale, informationnelle ou numérique soient exigées des élèves, s’il apparaît impossible d’augmenter indéfiniment les horaires d’enseignement et le temps de présence des élèves à l’école, il devient indispensable d’envisager, à terme et sans doute de manière progressive, de réduire les contenus et donc les horaires de certaines disciplines.
Lesquelles ?
Ce n’est pas à moi de le dire. En revanche, il est indispensable, dans cette perspective, pour décider de ces coupes claires, de ne pas céder aux lobbys disciplinaires, qui ont pris tant d’importance ces dernières années. La bataille sera rude, à n’en pas douter.
J’ai déjà évoqué l’importance d’une éducation aux médias numériques, par exemple, comme partie d’un enseignement du numérique, et suggéré quelques pistes pour sa prise en charge — voir cet article. On a bien vu — j’ai déjà eu l’occasion d’en parler souvent — que certaines disciplines avaient commencé à s’accaparer le champ du numérique pour mieux élargir leurs contenus et le périmètre de leur action. Je pense en particulier à cette stupide option offerte aux seuls élèves de Terminale S et qui, sous couvert d’ouverture au numérique, propose aux professeurs de mathématiques d’apprendre à leurs élèves la programmation et l’algorithmique.
On a d’ailleurs vu à ce sujet s’élever une voix particulièrement qualifiée pour dénoncer cette orientation et mettre un peu de raison dans ce débat en dénonçant le dogme de l’enseignement émancipateur du code.
Le numérique bouscule les frontières entre les disciplines, les modalités d’enseignement, les apprentissages eux-mêmes…
Mais nos élèves sont ce qu’ils sont, tels que nous les avons faits, avec leurs comportements numériques parfois compulsifs et irraisonnés. En tout état de cause, la très grande majorité d’entre eux sont incapables d’une posture assise, passive et exclusivement attentive au discours, oral pour l’essentiel, de leurs professeurs.
L’image ci-dessus n’est pas si rare et bien des professeurs s’en accommodent, malheureusement.
Si tous ceux qui vont travailler bientôt à une redéfinition des rythmes et temps scolaires pouvaient l’avoir toujours en tête, peut-être prendraient-ils alors conscience que cette question est aujourd’hui étroitement liée a celles des savoirs, des contenus disciplinaires, des apprentissages, et, surtout, des élèves tels qu’ils sont et non tels que certains souhaiteraient qu’ils soient.
Michel Guillou @michelguillou
Crédit photo : phonogalerie.com et Clint Hamada via photo pin cc
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