Il est comme ça des phrases, des mots, dans l’air du temps, qui sont ressassés jusqu’à plus soif dans les médias, les colloques, les familles, jusque dans les cours d’école et dont on se demande encore ce qu’elles peuvent bien signifier.
J’assume mon adhésion au « on » ci-dessus mais force est de constater qu’il concerne plutôt les jeunes, lesquels sont, vous le savez, généralement appelés élèves dès qu’ils franchissent les grilles des écoles, collèges ou lycées.
Que répète-t-on donc à l’envi à ces jeunes ou élèves ?
Qu’ils doivent respecter la vie privée !
Car, on ne le sait que trop bien, ces petits anges sont capables de se transformer en chenapans voire en racailles sanguinaires sur les réseaux sociaux ! Je passe rapidement sur cette notion de vie privée, qu’il faudrait séparer de la vie publique, toutes sortes de notions et de scissions qui n’ont strictement aucun sens pour un adolescent d’aujourd’hui.
On voit bien les difficultés dans lesquelles se débattent tous ceux qui veulent travailler avec les jeunes ou les élèves sur ces notions de vie privée, d’identité numérique, de traçabilité, de temps numérique, de limites tout simplement… Leurs grand yeux interloqués font figure en général de réponse éloquente.
« All I’m asking is for a little respect when you come home »… disait Aretha Franklin. Et ce qu’elle demande, c’est juste un peu d’égard et de considération envers elle.
Alors, le respect est-il une valeur éducative ? Une valeur qui doit être inculquée à l’école ? S’il s’agit d’avoir de la considération pour les autres, de l’estime pour ceux qui en méritent, de la déférence pour ses maîtres, aucun problème. Il est même possible, dans une acception moins anglo-saxonne de ce mot, d’avoir du respect pour ses parents, ses maîtres…
Mais un jeune doit-il et peut-il respecter le droit d’auteur, par exemple ?
Il doit être assez facile pour un parent, un éducateur d’expliquer à un enfant qu’il convient d’avoir de l’admiration, de la considération pour les grands hommes (ou les grandes femmes) de la littérature, de la peinture, de l’architecture, de la politique, de la musique… Il doit même être possible, en travaillant sur leurs œuvres et en leur faisant les aimer, d’argumenter les ressorts de cette considération, voire de ce respect. C’est ce que font tous les jours des professeurs.
La difficulté vient sans doute du fait que chacun de ces grands hommes, à des titres divers, à différents moments de sa vie, fut d’abord complètement irrespectueux soi-même. Marie Curie, Galilée, Rimbaud, Olympe de Gouges ont-t-ils eu, chacun pour leur part, du respect pour les dogmes du moment ? La démarche des encyclopédistes, toute généreuse qu’elle fut, n’était-elle pas d’abord délibérément irrespectueuse ?
Les exemples sont foison.
Convient-il donc d’avoir de la considération pour le travail des auteurs, des écrivains, des musiciens, des créateurs ? Sans aucun doute, oui. Il doit même être possible d’évoquer, dans une démarche éducative, la meilleure manière dont la société peut soutenir ou récompenser ce travail de création, d’évoquer encore la meilleure manière de le rémunérer pour que ces auteurs puissent continuer à écrire, composer, peindre, photographier… pour notre plus grand plaisir.
Convient-il à l’école par ailleurs d’inculquer les valeurs immémoriales du partage et de l’échange ? Sans aucun doute aussi, tout le monde en sera d’accord, tant ces démarches paraissent généreuses, vertueuses et profondément morales.
Comment concilier alors l’appétit féroce des jeunes pour cette générosité-là en même temps qu’un supposé « respect » qu’ils devraient concevoir pour le droit des auteurs ? Comment leur faire comprendre que les descendants d’un auteur sont encore titulaires de certains droits 70 ans après la mort de ce dernier ? Comment comprendre la notion de contrefaçon quand il n’y a pas de façon ? Comment comprendre et donc expliquer l’assimilation du partage d’œuvres — ce que certains appellent adroitement du piratage, sans aucun fondement juridique — à du vol quand celui qui a acquis l’œuvre n’a en rien été dépossédé ?
Il n’y a de « respect » que compris et intégré par celui qui en est redevable. Il n’y a de respect que si ce mot est utilisé à bon escient et dans des circonstances idoines.
Alors, pour en revenir à la question initiale, les jeunes doivent-ils respecter le droit d’auteur, par exemple ? Oui, bien sûr parce que c’est la loi.
Les jeunes peuvent-ils respecter le droit d’auteur ? À mon avis non, dans la plupart des cas. D’abord parce que ses fondements juridiques sont pour l’essentiel incompréhensibles, ensuite parce que ce droit entre en conflit ouvert avec des pratiques en soi parfaitement honorables, voire à encourager…
Et pourquoi devraient-ils le respecter quant tout leur indique qu’il s’agit d’une doxa absconse et anachronique, pour laquelle ils ont d’emblée comme une sorte d’irrespect quasi congénital ?
Peut-on les en blâmer ?
Alors, respect ou irrespect ? Alors éducation ou cécité ? Alors, et là je m’adresse aux ayant-droit, évolution ou repli sur soi ?
Michel Guillou @michelguillou
Crédit photo : Sebastiano Pitruzzello (aka gorillaradio) via photo pin cc
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