L’école traditionnelle, celle de Jules Ferry, est ainsi faite que le maître y dispense l’instruction publique dans une salle de classe close pendant un temps limité, généralement légèrement inférieur à une heure.
Dans cet espace, généralement rectangulaire, le maître, face à ses élèves, y exerce une domination absolue. Cette domination, cette hégémonie n’est d’ordinaire contestée par personne. Les élèves bien sûr, mais aussi les autres professeurs ou acteurs et partenaires de l’école s’y conforment et ne pénètrent dans l’antre qu’avec moult autorisations et précautions.
Chacun se souvient sans doute avoir un jour franchi timidement, pour une raison ou une autre, l’huis d’une classe d’école, de collège ou de lycée occupée d’un maître et de ses élèves et avoir ressenti combien cette intrusion rompait l’ordre d’un cérémonial républicain ordonné et complexe. La salle de classe, toujours fermée par sa porte mais aussi, le plus souvent par ses fenêtres, même aux plus fortes chaleurs, est un lieu sanctuarisé dans lequel les troubles et les turpitudes du monde ne pénètrent que rarement et toujours par mégarde.
Le maître dispense son savoir dans la plus grande autonomie pédagogique, dans le plus grand respect aussi des programmes disciplinaires nationaux, et son enseignement n’est confronté à la tutelle sourcilleuse d’un inspecteur qu’à l’occasion des visites bien rares de ce dernier. Cette autonomie pédagogique très forte est aussi la marque jalousement préservée de l’école française de la République. Les méthodes, les formes mêmes d’enseignement sont rarement confrontées, comparées, d’une classe à l’autre, d’un maître à l’autre, d’une discipline à l’autre.
Ainsi va l’école de France…
Mais il y a eu un accident tectonique. La plaque du numérique est venue, dès le début de ce millénaire, percuter de plein fouet la Pangée de l’école républicaine.
À l’heure du numérique, comme on dit, la classe doit s’ouvrir. Et cela ne se fera pas sans que soit justement et profondément remis en cause, à l’heure où il va être question d’y réfléchir à nouveau, les fondements mêmes de l’enseignement traditionnel.
La première brèche est celle de la mise en place de services en ligne, inclus ou pas dans un ENT : les cahiers de texte, les notes, les devoirs à faire, les leçons à apprendre, les contenus mêmes des cours sont portés via l’Internet à la connaissance des familles et de la hiérarchie. Nombreux sont ceux qui y sont favorables et voient là une manière d’impliquer encore davantage les parents dans l’éducation de leurs enfants. Mais nombreux sont aussi ceux qui, parmi les enseignants, s’y refusent formellement, voyant là une intrusion définitive et dommageable dans l’enceinte close de la classe et une remise en cause de leur liberté pédagogique. Un choc tectonique vous dit-on…
La deuxième brèche est celle qui est engendrée par les usages numériques eux-mêmes qui poussent chaque professeur à échanger et partager et à confronter ses pratiques personnelles à celles de ses collègues, voire à travailler ensemble (oh !). Elle le contraint aussi à modifier aussi sensiblement ses postures magistrales, à modifier les rythmes des enseignements pour permettre l’alternance d’activités de recherche et expérimentales, à modifier les espaces scolaires pour les rendre modulables et « Pousser plus loin les murs de la classe… », à changer profondément les formes du travail pour alterner, là encore, l’individuel et le collectif, à modifier enfin l’évaluation de l’acquisition des savoirs, savoir-faire, savoir-être… Des séismes, des secousses secondaires et de nombreuses répliques à venir, n’en doutons pas.
Une nouvelle brèche encore est ouverte par l’apparition de matériels nomades connectés, ordiphones ou tablettes, possédés par les élèves ou mis à disposition de ces derniers, qui déversent en classe les savoirs encyclopédiques du monde, les confrontant et les comparant à ceux transmis par le maître. Là encore, la réaction largement majoritaire, de l’école comme de ses professeurs, est celle de l’interdiction et de la censure, au mépris des principes éducatifs… Comme si Jules Ferry avait voulu jadis interdire les ardoises…
Une autre brèche enfin est creusée par les jeunes, les élèves eux-mêmes, dont les comportements, les habitudes, sont tournés vers l’extérieur de la classe, la société, l’information et l’actualité. Les sollicitations sociales sont, pour eux, nombreuses et permanentes, le réseau est leur milieu, la connivence et la complicité leur modus vivendi, le partage leur finalité. L’école, sans s’y conformer docilement, aura à en tenir compte.
Il y a encore d’autres brèches à venir… Un peu d’air frais ne fera pas de mal.
Michel Guillou @michelguillou
Crédit photo : swisscan et Jaimito Cartero via photo pin cc
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