Il y a comme quelque chose de cassé dans l’école de France. Les symptômes sont nombreux qui montrent des tensions, des frictions qui concernent tant le système éducatif lui-même que ses acteurs. Depuis la réforme du lycée, en passant par la refondation, la fabrique des nouveaux programmes, l’école numérique, les rythmes scolaires et maintenant la réforme du collège, toutes ces mutations ont montré à la fois l’incapacité du système à se réformer et la formidable résistance au changement.
« Ça et là, des initiatives émergent mais une véritable vision prospective cède souvent devant des réflexions à court terme, que ce soit sur les usages du numérique, les apprentissages fondamentaux ou l’enseignement du civisme. Or si l’école ne contribue pas davantage à changer la société, c’est la société qui changera l’école, et peut-être plus radicalement qu’on ne le croit. »
Ces lignes admirables que j’aurais aimé écrire sont de Richard-Emmanuel Eastes, chercheur suisse, qui signe un texte brilllant et récent dans The Conversation.
L’école a-t-elle perdu la raison ?
C’est en effet bien le sujet. C’est l’école qui traditionnellement, dans ce pays, montre la voie à la société, en lui donnant à expliquer le Monde et ses évolutions, en portant bien haut et en transmettant les valeurs communes de la République. C’est l’école qui, prenant appui sur de solides humanités, permet à ses jeunes citoyens de déchiffrer les informations de l’actualité comme de comprendre les grands débats éthiques, scientifiques, économiques, politiques, sociétaux qui agitent le Monde. Et, surtout, c’est l’école qui doit mettre la raison au cœur de toutes ces réflexions, contre toutes les croyances et les doxas. Où est passée aujourd’hui la raison ? Bien des événements récents ont montré qu’elle avait bel et bien quitté l’école, comme si l’institution, son encadrement et ses maîtres s’avéraient incapables de proposer une réflexion critique permettant aux élèves de discerner le bien du mal, le vrai du faux… Comme si…
Pour y revenir, concernant par exemple le paradigme numérique, l’école est-elle aujourd’hui capable de proposer à la société une réflexion raisonnée de ce modèle ? Tout en effet montre le contraire, un repli sur soi consensuel voire atavique, la censure des idées, le mépris des jeunes supposés incapables de penser, le rejet de l’innovation, l’incapacité à partager, à échanger, à débattre, à remettre en cause les vieux modèles surannés, à observer, interroger et prendre en compte les modifications comportementales et sociétales, à rebâtir, à refonder, à réinventer, à faire confiance, à promouvoir, à distinguer, à faire le tri, à animer, à impulser, à tirer vers l’avant… à dire ce qui nous rassemble, à penser droit comme le propose Luc Bentz.
C’est la société qui se met à changer l’école
« … en changeant l’école, nous portons bien un projet de société. »
C’est pourtant sous cet auspice que Vincent Peillon présentait son projet de refondation de l’école, par exemple dans ce discours, fin octobre 2012.
Mais non, définitivement, ça ne se passe pas comme cela. La lecture, jour après jour, de la littérature officielle sur Eduscol ou du Bulletin officiel, la lecture des bulletins et sites syndicaux de tout poil ou presque, l’écoute de la plupart des cadres et des enseignants sur les réseaux sociaux ou dans les salles de professeurs ne laisse pas d’inquiéter. Ceux qui avancent, ceux qui impulsent, ceux qui tirent vers l’avant sont rares, si rares.
En cette fin juillet, je suis résolument pessimiste. Et ce ne sont pas les événements récents qui vont me faire penser le contraire. L’école subit les grands changements et les mutations sociales qui affectent la société, incapable qu’elle est de les anticiper et de proposer une alternative raisonnée et sérieuse. Qu’a-t-elle fait pour s’opposer au communautarisme qui gagne, qu’a-t-elle fait pour défendre la laïcité — rares sont ceux qui savent encore ce que cela signifie —, qu’a-t-elle fait pour résister aux théories créationnistes ? Qu’a-t-elle vraiment entrepris ces derniers mois pour proposer d’autres modèles ?
Car il traîne malheureusement l’idée « qu’il ne faut pas trop charger la mule », que l’école ne peut à elle seule, sans doute, trouver une solution à tous les maux de la société… Je l’ai encore entendu récemment. Mais si l’école ne le fait pas, si elle n’est pas capable de bouleverser ses programmes, de « pousser plus loin les murs de la classe », comme je le proposais il y a plus de quatre ans déjà (1), de dresser entre les disciplines les nécessaires passerelles pour lutter ensemble contre la désinformation, le complotisme et proposer une véritable éducation aux médias, plus indispensable que jamais, nourrie et enrichie des apports du numérique, qui le fera ? Les marchands du temple n’attendent que l’occasion d’ubériser l’école, de l’éparpiller façon puzzle pour imposer leurs propres lois, celles du marché…
Je vous avais prévenu, le pessimisme me gagne…
Michel Guillou @michelguillou
Crédit photo : via Pixabay en licence CC0, CC BY-SA 3.0
- Pousser plus loin les murs de la classe… https://www.culture-numerique.fr/?p=598
[cite]
Pauvre ami, ta tristesse m’afflige . . . oui l’école est écartelée entre un glorieux passé et un futur incertain. Comme j’aimerais avoir une boule de cristal pour y voir de quoi demain sera fait. Mais je ne suis qu’une observatrice du présent. Je garde toutefois espoir en la créativité de la jeunesse qui saura je le pense, comme les générations qui les ont précédé, réussir un tout petit peu à changer le monde. Ils sont beaux ces enfants, ces jeunes. J’ai foi en eux.
Encore merci pour cet éclairage, mais pourquoi vouloir que l’ école précède la société dont elle est le fruit. Je veux dire par là que le principe d’un enseignement en toute logique est d’apprendre à reproduire à peu près un modèle à travers la stimulation de l’exemple donné, observé, pratiqué, analysé, critiqué, quitte à le transformer un peu.
La création ambitieuse, le fameux progrès, l’ évolution positive venant après, presque par surprise, et de surcroît comme la guérison en psychanalyse. Pour aller vite, la société a l’éducation qu’elle mérite, plus pessimiste que vous si on considère cette ambition primitive : » C’est l’œuf qui devra faire la poule ! »
L’ éducation (par moyen) numérique doit elle s’auto générer ? Sommes nous capables d’en faire cette chose qui nous échappe ?