Non, l’éducation en ligne ne fera pas faire d’économies…

Interrogé ce 17 septembre dernier par des journalistes de BFM TV, l’actuel ministre de l’éducation Vincent Peillon a eu l’occasion de faire quelques propositions pour la République du 21e siècle et son école, bien sûr. Vous retrouverez, sur ce point, l’essentiel de son propos ci-dessous, à partir de 6 min et 30 s.

Notre grand projet, c’est la « e-éducation ». […] Il faut dématérialiser, nous avons là des ressources absolument considérables. […] Nous n’avons pas les ressources pédagogiques, donc je veux créer une très grande filière française de production pédagogique de la « e-éducation ». […] Il faudrait qu’il y ait une exception éducative comme il y a une exception culturelle.

Interrogé notamment sur sa volonté de désigner un opérateur — nouveau, apparemment, ce ne sera pas le CNDP et son réseau — capable d’élaborer et de proposer les ressources pédagogiques et sur les coûts engendrés par ce projet, il a répondu, de manière lapidaire :

La « e-éducation, c’est beaucoup d’économies pour l’avenir.

Il est d’abord curieux d’entendre, de la bouche même d’un ministre français de l’éducation, cette horrible appellation de « e-éducation » peu usitée bâtie sur le modèle du « e-learning ». Le discours du ministre est d’ailleurs ponctué d’autres anglicismes… Surprenant… et désolant. D’autant plus qu’il existe en français des succédanés de très bonne facture : éducation, formation, enseignement en ligne, par exemple…

C’est un concept assez ancien. On en trouve notamment mention en 2008 dans les lignes du rapport e-Educ remis à Xavier Darcos, puis en 2011 dans un appel à projets de la Caisse des dépôts dans le cadre des investissements d’avenir.

Plusieurs volontés politiques y sont énoncées, toujours à peu près dans les mêmes termes :

  • généraliser les Espaces numériques de travail (ENT) ;
  • mettre en place une plateforme d’identification et de présentation des ressources, des usages et bonnes pratiques numériques ;
  • mettre en place un observatoire national des Tice.

Au-delà de ces principes, les enjeux sont, eux aussi, explicitement décrits :

  • faire progresser l’efficacité du système éducatif dans la prise en charge des élèves et des étudiants, dans son fonctionnement et son ouverture ;
  • adapter la formation aux parcours individuels, au niveau de connaissance et au rythme d’apprentissage de chacun ;
  • familiariser les élèves et les étudiants avec le numérique.

Aujourd’hui, en 2012, Vincent Peillon utilise à peu près les mêmes mots. Il ajoute néanmoins, à juste titre, que les plateformes d’éducation en ligne permettront d’offrir aux familles la possibilité de disposer de l’ensemble des ressources pédagogiques jusque dans leurs propres foyers.

Très curieusement, le ministre ne mentionne pas les ENT qui ont, à l’évidence, du plomb dans l’aile. Il est vrai que leurs utilisateurs, professeurs, personnels d’administration, élèves, parents, partout en France, dans les départements et les régions, n’en finissent plus de se battre avec les carcans et les limitations de produits mal finis et peu utiles, les abandonnant et leur préférant des solutions plus souples et plus modulables.

Revenons aux enjeux de l’éducation en ligne. Au-delà des préoccupations égalitaires exprimées, des potentialités offertes pour une pédagogie différente et différenciée, il va de soi, à mon avis, que les gouvernements libéraux qui se sont succédés, ces dernières années, ont voulu aussi promouvoir les formes d’enseignement en ligne dans le but de faire des économies. Il y avait là, certes, la perspective de réduire le poids des cartables mais aussi celui des services publics dans le budget de l’État, et, notamment celui de l’éducation nationale. Il y avait aussi le but parfois avoué de confier au secteur privé, supposé plus rentable et compétent, de grands pans de l’éducation et de la formation…

Nul doute enfin que les derniers gouvernements ont imaginé, en proposant des plateformes d’éducation ou de formation en ligne, à l’image de ce qui se passe parfois outre-Atlantique, pouvoir diminuer les taux d’encadrement, d’une part, rémunérer les professeurs selon la performance, d’autre part — voir ce récent billet.

C’est, je le répète, le même langage que nous tient aujourd’hui Vincent Peillon, dans un grand sourire :

La « e-éducation, c’est beaucoup d’économies pour l’avenir.

C’est faux, complètement faux. 

Je ne veux même pas évoquer les efforts considérables qui devront être engagés pour soutenir la production puis la distribution des ressources numériques, selon un modèle qui ne peut être que celui du flux et non celui du stock — se référer à mon dernier article.

Je ne veux même pas non plus parler des formations massives, dont certaines seront peut-être d’ailleurs en ligne, qu’il faudra proposer aux cadres comme aux professeurs pour permettre à ces derniers d’évoluer et de changer de posture, de passer de celle du maître transmetteur de savoirs, sur une estrade face à une classe attentive, à celle d’un maître accompagnateur, peut-être même tuteur, dont la place est alors plus souvent à côté ou derrière chaque élève actif ou étudiant en ligne. Une gageure. Et des barrières à faire tomber…

Leçon

Non, je veux juste évoquer l’évolution nécessaire des missions des maîtres, et des temps scolaires aussi. C’est un lieu commun de dire que l’enseignement en ligne permet et privilégie un accompagnement éducatif personnalisé. Lui comme le tutorat ne peuvent en aucun cas s’accommoder d’effectifs pléthoriques. Toutes les séances où l’élève est actif face aux exercices en ligne ou au travail collaboratif que lui propose le maître, en classe ou en atelier, doivent bénéficier d’un encadrement de proximité et plus important qu’aujourd’hui.

Par ailleurs, le tutorat en ligne, qui s’exerce, lui, au-delà du temps scolaire, doit aussi bénéficier de moyens non conséquents. Il faudra bien trouver des moyens pour rémunérer des tuteurs, qui seront des professeurs ou des enseignants spécialisés, capables, le soir ou après la classe, d’aider les élèves, de répondre à leurs questions, de guider leurs apprentissages, de leur proposer de nouveaux parcours, d’élaborer pour eux d’autres modes d’évaluation.

L’enseignement en ligne est donc fait d’une alternance de temps présentiels, avec un maître en chair et en os dans la classe ou l’atelier, et de temps distants où le maître ou le tuteur peut être au bout de la ligne (la fameuse FOAD).

Rien qui ressemble là à une économie, donc. Bien au contraire.

Peut-être sera-t-il possible, en revanche, d’imaginer éviter l’immense gâchis financier pour les collectivités ou les familles — pour les forêts, aussi — de l’impression et de la distribution répétées chaque année des manuels traditionnels…

Alors, faut-il renoncer à l’éducation en ligne ? Certainement pas. Je reste très favorable évidemment au développement de toutes les formes d’accompagnement éducatif ou de formation en ligne, en alternance, pour toutes les bonnes raisons exprimées supra, mais surtout parce que c’est la meilleure manière de rénover la pédagogie et l’école, en même temps que d’engager cette dernière résolument dans le numérique. C’est un formidable pari pour demain, pour les élèves ou étudiants français mais aussi, bien sûr, pour tous ceux ailleurs que les distances, les climats ou les topographies éloignent des bancs de l’école.

Mais il ne faudra pas être avare de moyens…

Michel Guillou @michelguillou 

Licence Creative Commons

Crédit photo : uMontreal.ca via photo pin cc

 

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