Refondation : la grande parade du numérique

Paon

L’occasion m’est donnée, puisque je suis invité ce mardi 9 octobre à dire ce que je pense des « Nouveaux outils de l’éducation », de commenter le rapport remis, après ces semaines de travail d’été, au ministre à propos de la refondation de l’école.

Vous le trouverez sur cette page en ligne, sous forme de PDF de 52 pages.

Vous me connaissez, je fais ça de manière réflexe, pardon, je tape tout de suite « Rechercher – Numérique »… et tombe sur un sous-chapite intitulé « Le numérique, une priorité pour la réussite » qui m’amène directement page 49 où je lis les superbes mots ci-dessous :

« Parce que notre monde vit une mutation de nature comparable à ce qui s’est passé avec l’imprimerie, parce que toute la société, les sciences, la vie quotidienne et économique sont aujourd’hui conditionnées par ces bouleversements, l’École doit aujourd’hui pleinement entrer dans l’ère du numérique. »

La comparaison de l’émergence du numérique avec l’apparition, au milieu du 15e siècle, de l’imprimerie n’est pas nouvelle. C’est même devenu quasiment un lieu commun. C’est pourtant une idée très intéressante et, à mon avis, fort pertinente. Les bouleversements induits semblent en effet du même ordre, politiques, économiques, éducatifs évidemment, accompagnant un changement radical de paradigme culturel, encore mal compris, d’ailleurs — voir les invraisemblables débats d’aujourd’hui sur le droit des auteurs.

Mais de là à parler — seulement — de mutation quant il s’agit à l’évidence d’une révolution… Qui oserait parler de mutation à propos de l’imprimerie ?

Par ailleurs, s’il faut entendre bien sûr que l’école doit changer parce que tous les pans de la société changent et intègrent le numérique, ce rapport néglige et oublie de dire que les pratiques numériques massives des jeunes constituent une deuxième raison d’ailleurs suffisante pour que l’école s’adapte. Dommage de si mal connaître ces jeunes, nos élèves !

La fin du paragraphe ci-dessus reproduit énumère l’ensembles des domaines de l’éducation qui sont ainsi concernés. Rien ne manque et c’est assez édifiant !

« Tous les domaines de l’éducation sont concernés : architecture des établissements scolaires, équipement des salles de classe, des élèves et des enseignants, formation des enseignants, pilotage du système, recherche et production de ressources, modèle économique de la ressource pédagogique, politique industrielle du numérique, apprentissage de la compréhension de la culture numérique, insertion professionnelle par le numérique…  »

J’ai déjà évoqué, dans des billets précédents, la plupart des points soulevés, l’architecture, l’équipement, la formation et le pilotage, les ressources, la culture numérique, à croire que ceux qui ont rédigé ce rapport me font l’honneur de me lire !

Je ne vais pas non plus reprendre une par une les quelques propositions, finalement peu nombreuses, de ce rapport qui concernent le numérique. Quelques idées presque originales rarement lues dans d’autres rapports sont pourtant à relever qui méritent d’être mises en œuvre sans tarder :

  • la valorisation de l’expérience des pionniers ;
  • l’inscription dans la loi de l’éducation aux médias et à l’information — j’en ai parlé abondamment précédemment — ;
  • la mention que « des personnels dédiés doivent également être présents dans les établissements pour accompagner les enseignants et se charger de la maintenance du réseau et des équipements » — les mêmes ? ;
  • l’encouragement à la créativité des enseignants pour produire des ressources ;
  • l’essaimage et la diffusion de l’innovation — ça aussi, j’en ai parlé récemment — ;
  • l’élaboration d’une carte d’aménagement territorial numérique, en relation avec les collectivités.

En revanche, j’ai du mal à comprendre pourquoi seul et a priori le premier degré devrait être concerné par un « plan numérique » très vague dont on ne sait exactement ce qu’il comporte.C’est l’ensemble de l’école, de la maternelle à l’Université, qui doit être concerné, d’urgence par un plan numérique !

Non, le plus incroyable à propos de cette priorité révolutionnaire annoncée par ce paragraphe, c’est qu’il faille attendre la 3e et dernière partie, dans le point n° 2 d’un 4e alinéa, à la 49e page d’un rapport qui en contient 52, pour en entendre parler !

Ce positionnement ridicule est d’ailleurs une particularité assez constante de la politique éducative ces dernières années, quelle que soit la majorité qui nous gouverne : tout le monde parle du numérique, tout le monde sait bien que c’est l’affaire la plus importante du début de ce millénaire pour l’éducation, et puis… il ne se passe rien !

Pour le naturaliste que je suis, cette manière de gouverner me fait toujours penser à la parade nuptiale du paon qui n’aboutit, le plus souvent, à rien, sinon à une immense frustration ! Beaucoup de brillant et de clinquant et peu d’actes…

On comprend que les nouveaux modes d’accès aux savoirs conditionnent l’ensemble des apprentissages, qu’ils ont des conséquences non négligeables sur les postures magistrales, que prendre des décisions, faire des choix n’est pas simple. Mais c’est bien ce qu’on attend d’un pouvoir politique quand tout est si urgent !

Comment, pour reprendre les points évoqués dans ce rapport, poser la question des résultats qui baissent sans évoquer l’apport possible du numérique ? Comment redonner confiance à l’école en omettant de parler du numérique ? Comment engager l’école dans le XXIe siècle sans prendre en compte le numérique qui l’imprègne ? Comment parler de l’école comme lieu de formation civique et éthique en évacuant la dimension hautement sociétale du numérique ? Comment rénover l’action publique en éducation sans le numérique ?

La refondation sera pédagogique ou ne sera pas, comme elle sera numérique ou ne sera pas. Comment alors refonder la pédagogie sans le numérique ? Comment évoquer encore le socle commun et le lycée de la réussite sans le numérique ? Comment se mobiliser contre le décrochage en négligeant les apports spécifiques du numérique ? Comment éduquer les élèves à la citoyenneté sans prendre en compte leurs pratiques numériques ? Comment rénover les apprentissages sans la dimension numérique ?

Comment, comme c’est le leitmotiv de l’actualité, penser de nouveaux rythmes scolaires sans réfléchir à ce que le numérique éducatif peut changer aux contenus, aux programmes, à l’organisation et la succession des séquences d’enseignement ?

Comment rénover la gouvernance hors de la culture numérique que doit acquérir l’encadrement ?

Oui, comment est-ce possible ?

Michel Guillou @michelguillou

Crédit photo : rappensuncle via photopin cc

 

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