Vous le savez, j’ai pris l’habitude de vous narrer ici mes rencontres avec celles et ceux qui veulent bien m’entendre, voire m’écouter, à propos des thèmes qui me sont chers et que vous connaissez maintenant.
C’est ainsi que, ce mardi 13 novembre, j’avais le plaisir de modérer, au CDDP des Hauts-de-Seine, un atelier en forme de table ronde sur le sujet des « Médias, réseaux sociaux, jeux vidéos : nouveaux usages, nouvelles cultures ». Le thème général de la journée portait sur l’éducation à la culture « Monde ». Joli programme !
Chaque intervenant a pris la parole à son tour sur le dossier qu’il portait, Olivier Mauco sur le passionnant défi posé aux jeunes et à l’éducation du jeu et, en particulier, du jeu vidéo, Czeslaw Michalewski sur ses remarquables travaux de visioconférence qui éclairent l’enseignement, Nathalie Caclard sur l’importance et la richesse des réseaux et médias sociaux, Évelyne Bévort enfin sur le curriculum de l’Unesco sur l’éducation aux médias et à l’information.
Je peux en témoigner, puisque j’ai distribué la parole, chacun l’a fait en faisant montre d’un grand enthousiasme à la hauteur des enjeux et des promesses. Que de grandes choses à faire avec ces outils, que de chantiers éducatifs à mener et à partager, que de perspectives emballantes, que de passion !
Devant les éducateurs des communes, des quartiers qui étaient présents, nous n’avons cessé, les uns, les autres, car je n’ai pas pu me retenir de glisser mon grain de sel, vous me connaissez, de prendre sur tous ces sujets une posture enthousiaste, je vous l’ai dit, mais aussi raisonnée, responsable, résolument vigilante et surtout éducative.
Et pourtant, car ma position de modérateur me contraignait à observer les réactions de la salle, avant de donner la parole pour un moment plus interactif, mon attention a été alertée à plusieurs reprises par des moues, des soupirs, des vacillements perceptibles sur les visages des éducateurs présents… La prise de parole qui s’en est suivie, d’abord timide, comme d’habitude, puis plus affirmée au fur et à mesure que les échanges devenaient informels, m’a conforté dans ma première impression : à quelques exceptions, la plupart des personnes présentes avaient peur.
C’était la peur qui habitait ces adultes, qui les contraignait à d’abord poser la question des supposés et sempiternels « dangers » d’Internet (et, dans le même élan, des jeux vidéos et de tous les médias), avant d’en percevoir toutes les richesses et d’engager avec les jeunes qu’ils ont en charge des démarches éducatives. C’était la peur qui les faisait renoncer, qui les faisait hésiter, qui les freinait dans leurs élans. C’est cette peur que la plupart des participants ont exprimée, de manière souvent implicite plus que par des mots qu’ils auraient été incapables de prononcer.
J’ai, je le sais, tendance à oublier, à négliger, à ne pas prendre assez en considération ces phénomènes récurrents de peur parfois panique. C’est aussi le sentiment qu’ont eu — nous en avons parlé ensemble ensuite — mes comparses sur cette table ronde.
Le temps, comme d’habitude, nous a manqué pour démonter les ressorts intimes de ces peurs qui concernent en vrac les addictions, le piratage, la vie privée, la vie publique, l’information, le plagiat, les rumeurs, et, cerise sur le gâteau, même si personne n’en a parlé, le pédophile ou le terroriste qui se cachent, chacun doit en prendre conscience, derrière chaque écran. Mais c’est une tâche à laquelle il faut s’atteler en permanence, tant ces fantasmes sont très fort ancrés dans les subconscients.
J’avais déjà eu l’occasion, il y a un an (ça doit être la saison), dans cet article, de dénoncer les manœuvres de sombres officines, plus ou moins validées par l’institution, qui faisaient de ces peurs leur fonds de commerce.
Elles ne sont pas les seules à vivre de cette rente inépuisable. Pour élargir le propos, les hebdomadaires de la grande presse à l’aboi font assaut de surenchère médiocre et nous présentent, sans honte aucune, semaine après semaine, des unes plus anxiogènes les unes que les autres. Vous me dispenserez de m’attarder d’avantage et de vous les présenter : elles me font vomir.
J’ai envie, pour terminer, de vous rappeler les propos lucides d’une grande dame, Danièle Mitterrand, qui disait, le 9 février 2010, dans « Ce soir ou jamais » :
[Là, il y avait une vidéo, YouTube l’a supprimé pour d’invraisemblables et stupides histoires de droit d’auteur]
« La peur est une arme aujourd’hui. Faire peur à une population, la mettre toujours en situation de se dire « est-ce que je fais bien, est-ce que je fais mal, est-ce que ceci, est-ce que cela ? », cette espèce de crainte permanente que l’on a, et de la police, et de la justice, et de tout ce qui nous entoure, parce qu’on finit par avoir peur, enfin certains finissent par avoir peur de tout, c’est une façon de dominer une population, c’est une stratégie. »
Michel Guillou @michelguillou
Crédit photo : Nwardez via photopin cc
[cite]
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