L’objectif « Utiliser des outils numériques » revient comme une antienne dans les nouveaux programmes de maternelle et de l’école élémentaire. Le mot « numérique » n’y est employé que comme adjectif des substantifs « outils », « supports », « objets », « dispositifs », « tablettes »… pour l’essentiel des occurrences. Cette vision strictement utilitaire du numérique se retrouve relayée par l’encadrement dans le discours institutionnel de l’école, lequel est généralement et désespérément vide de toute autre dimension. Les professeurs, confortés en cela par leur hiérarchie, se complaisent à évoquer leur « utilisation du numérique », réussissant même à dire ce qui est numérique et ce qui ne l’est pas, comme si cette distinction avait encore du sens !
Le numérique élargit en effet son cercle d’influence aux domaines politique, institutionnel, économique ou commercial, technologique bien sûr, auxquels il propose de nouveaux modèles. Les entreprises, par exemple, mettent les dimensions humaines et organisationnelles au cœur de leur transformation numérique, bien avant les modifications techniques. Ce n’est pas non plus la vision des jeunes, enfants et adolescents, qui lui donnent un sens largement plus social ou sociétal, voire citoyen, médiatique ou informationnel — en fait, les jeunes ne donnent aucun sens au mot « numérique », tant ce dernier imprègne leurs pratiques quotidiennes.
Ainsi, peu à peu, depuis une bonne vingtaine d’années, à force de dérives sémantiques successives et d’inculture chronique, l’école s’est éloignée de la société et des pratiques de sa jeunesse. Ce n’est pas dommage, c’est largement pire que ça !
Comment faire ?
Le numérique pour un engagement politique et citoyen de l’école et de ses acteurs
Le numérique, né de l’Internet, représente pour chacune ou chacun d’entre nous une opportunité historique. Les réseaux donnent une perspective universelle aux apprentissages, où chaque apprenant peut prendre conscience de son rôle de citoyen, en même temps que de l’existence et la considération de l’autre, si lointain soit-il. De plus, pour la première fois dans l’histoire de l’humanité, à condition naturellement de pouvoir accéder à l’Internet, ce qui n’est encore pas donné à tout le monde, chaque citoyenne, chaque citoyen accède enfin, plus de deux siècles après la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, à l’exercice plein et entier de sa liberté d’expression. Mieux encore ! cet exercice peut s’accomplir de telle manière que la parole ainsi libérée peut se porter à l’autre bout du Monde et se confronter à un auditoire potentiellement universel.
« Le terreau est idéal pour une création en explosion, et c’est ce qui se passe : tout le monde écrit, tout le monde chante, tout le monde dessine et peint. En réponse, tout le monde lit, tout le monde écoute, tout le monde admire. » explique Neil Jomunsi sur Page42.
Il s’agit d’un bouleversement au fond de l’ordre social et des hiérarchies établies. Le citoyen « d’en bas » peut donner son avis, lancer des idées, partager des productions et des valeurs, être lu et entendu. Les systèmes habituels de la représentation et de la délégation sociale et politique en sont modifiés à tel point que les élus ainsi délégitimés n’y comprennent goutte.
On mesure mieux alors les enjeux éducatifs. Dans ce cadre, je rappelle avoir proposé, comme d’autres, à de nombreuses reprises, que publier, cette liberté offerte aujourd’hui à chacun, devienne une compétence fondamentale comme lire, écrire ou compter. Il s’agit là certes de l’apprentissage de libertés publiques qui, faut-il le rappeler ?, ne s’usent que lorsqu’on ne s’en sert pas, mais aussi d’apprentissages « ordinaires » qui se trouvent ainsi valorisés. Les programmes qui ont été réécrits et proposés à l’école élémentaire et au collège ne contiennent que de manière très marginale des avancées dans ce domaine. Ce ne sera qu’une nouvelle occasion historique manquée…
Publier n’est d’ailleurs qu’une activité parmi d’autres, un engagement citoyen de plus. Il en existe bien d’autres qui concernent l’école auxquels le numérique donne une nouvelle dimension, à commencer par l’exercice urgent d’un autre droit, celui de la démocratie scolaire de laquelle les élèves sont, aujourd’hui encore, régulièrement évincés, au mépris de la loi pour ce qui concerne les élus lycéens.
Le numérique social et sociétal pour des apprentissages plus transversaux
« Au XVIIe siècle, l’honnête homme a une culture générale étendue et […fait] preuve d’une aisance sociale conforme à l’idéal du moment. » nous disent la littérature et Wikipédia. Au XXIe siècle, l’école est-elle en mesure de former les honnêtes femmes et hommes, citoyennes et citoyens numériques, possédant une telle culture commune, numérique donc transversale, et capables de l’aisance sociale conforme à l’état de la société et, peut-être, si le définir précisément est possible, à un nouvel idéal de ce siècle ? C’est, me semble-t-il, tout l’enjeu des évolutions sociétales et donc scolaires à venir.
Un premier constat est d’observer que l’Internet et les réseaux numériques sont les lieux du lien, du partage et de relations humaines et possiblement riches. Ces réseaux sont en passe, semble-t-il et espérons-le, de devenir des réseaux de sujets avant d’être des réseaux d’objets. Une des missions de l’école est alors d’investir cette horizontalité réticulaire, de construire l’honnête jeune homme de ce siècle et d’en faire un sujet éduqué mais aussi éclairé, contre tous les néo-obscurantismes modernes dont de puissants lobbys sont les promoteurs.
D’une manière générale, alors que le numérique promeut les pédagogies actives, l’école, à tous les niveaux, n’a pas évolué comme attendu et continue à n’user, de manière quasi exclusive, que de pédagogies transmissives d’un autre siècle. « Les élèves continuent à évoluer dans un système éducatif dominé par une approche trop étroite des disciplines, des connaissances fragmentées dont on ne discerne pas les enjeux… » peut-on ainsi lire aussi dans les Cahiers pédagogiques. C’est d’autant plus dommage, les pratiques numériques médiatiques massives des jeunes en sont le témoignage quotidien, que les passerelles se construisent aujourd’hui entre tous les champs du savoir alors qu’elles sont niées voire combattues dans les apprentissages ordinaires en silos que pratique ordinairement l’école. Ainsi, dans cette perspective, il convient d’apprendre à apprendre ensemble en croisant les pratiques et les regards — le « co » et le « trans » —, en imprégnant les champs disciplinaires d’une littératie numérique transversale avant tout humaniste et sociale.
Dans mon esprit et contre certains replis sur soi corporatistes, cette littératie recouvre aussi les champs de l’éducation aux médias et à l’information, de l’éducation à l’image, de l’éducation à l’actualité. On a cru un moment que les effets de la communication politique, après les tristes événements de 2015, allaient tout changer en installant durablement cette littératie dans les programmes. On a fait une grave erreur : c’est encore un rendez-vous unique avec l’Histoire de raté ! « Les mesures annoncées depuis “Je suis Charlie” sont restées bien trop timides et n’ont pas été mises en place. Elles ne répondent pas aux attentes des communautés de pratique sur le terrain et ne pallient pas les faiblesses historiques pointées par les chercheurs. » explique Divina Frau-Meigs sur son blogue, en tentant de dire pourquoi l’EMI constitue un levier puissant pour comprendre les enjeux politiques et économiques du numérique.
« Sur le plan scolaire, n’oubliez jamais les humanités. […] Il faut apprendre à décoder le monde plus qu’à coder des programmes informatiques. Vous êtes déjà des encyclopédies technologiques, tentez de devenir des “honnêtes hommes”. » conseille enfin et à propos Laurent Alexandre dans une lettre à ses enfants.
Pour des bien communs culturels et une nouvelle éthique du numérique
Wikipédia est un enfant de l’Internet et du numérique. Depuis sa création en 2001 — c’était hier —, plus de 30 millions d’articles ont été écrits en plus de 230 langues, dont plus d’1,7 million pour la seule version francophone. Cette encyclopédie, à laquelle contribuent maintenant d’éminents spécialistes de leurs disciplines respectives, s’accompagne de projets frères, dont un dictionnaire et des bases de ressources multimédias, des images, des livres et œuvres numériques, des actualités, des données diverses… Convient-il d’aller plus loin dans la démonstration ?
Et pourtant, la plus grande encyclopédie jamais écrite par les honnêtes hommes de ce siècle, bénévoles, collaborant de pair à pair, ouverte en écriture à tous, est encore malheureusement et le plus souvent détestée de l’école et de ses maîtres. Rares sont, parmi ces derniers, ceux qui ont, avec leurs élèves, contribué à l’écriture collective et collaborative d’articles ou à leur correction. Rares sont les professeurs documentalistes qui lui font une place de choix sur les écrans ou espaces documentaires, où son logo devrait toujours être présent. Rares sont les cadres pédagogiques qui la recommandent !
Pire, la méfiance à l’égard de son utilisation pour travailler et rendre compte n’a d’égale que l’ignorance du modèle de production des connaissances et des droits qui y sont attachés !
Cette méfiance généralisée s’accompagne parfois d’une peur panique qui va jusqu’à la censure et le bannissement. Elle s’exerce à l’encontre de toutes les évolutions culturelles, de la libération des droits de certaines œuvres musicales, picturales, littéraires, d’une exception pédagogique qui se fait attendre, des habitudes des jeunes enfin qui, les garnements !, co-construisent, co-produisent, partagent dans le flux et diffusent… Il y aurait tant à dire sur ces nouvelles manières de s’approprier la connaissance et la culture qui accompagnent l’émergence du numérique, en rupture radicale avec les méthodes traditionnelles.
Il en va de même de la responsabilité des acteurs de l’école, dont on pourrait attendre, de la part des adultes comme de la part de la noble institution qui les abrite, une attitude et un regard bienveillants et raisonnables parce que raisonnés. Mais la Raison semble avoir déserté l’école depuis un bon moment déjà et, bien au contraire, les engagements et initiatives des élèves sont généralement mis à mal quand ils ne sont pas censurés sans explications. Là où l’école devrait contribuer à convenir en son sein de pratiques consensuelles, porteuses d’une éthique du numérique éducatif, elle s’acharne le plus souvent à proposer à la place une morale particulièrement inadaptée et ringarde, une réglementation incomprise parce que jamais expliquée — à quoi bon ? — ou une censure draconienne.
La construction de l’autonomie et de la responsabilité des élèves, jeunes citoyens numériques, devrait être au cœur du projet éducatif et pédagogique. C’est essentiel, plus encore aujourd’hui. Or, de manière générale, l’acquisition de ces compétences passe au second plan, bien après les compétences strictement disciplinaires.
L’école a donc du travail sur la planche. L’école numérique est déjà dans la poche de ses élèves et ne trouve pourtant que rarement place dans ses murs. La fracture entre les pratiques de la société et des jeunes et celles de l’école s’élargit sans cesse. Au lieu de contribuer à changer au fond les dispositifs, dont les programmes, les temps, les lieux, les missions, les enseignements et les modalités d’enseigner, de concerner et de former à tous les niveaux de formation comme d’enseignement les professeurs d’aujourd’hui pour préparer les élèves à la société de demain, l’école s’échine et s’épuise dans des « plans numériques » abscons et utilitaires, fruits de la seule communication politique, sans aucun rapport avec ses véritables besoins.
Le défi est formidable. Et passionnant, pour tous ceux qui veulent s’y atteler. Au travail !
Michel Guillou @michelguillou
Crédit photo : Grabstein einer Frau mit Dienerin by Unknown – own work by Wolfgang Sauber. Licensed under CC BY-SA 3.0 via Commons
[cite]
Tout à fait d’accord sur le fait que le pédagogique prévaut sur le numérique, sur l’outil, sur l’utilisation et la vision utilitariste prédominante. Pour autant je me permets plusieurs remarques sur le développement de certains points, avec un article qui relève beaucoup de l’exercice rhétorique, avec des éléments problématiques.
Je ne reviens pas sur le terme « numérique », dont je ne vois pas trop la définition qui peut y être donné dans cet article. J’ai l’impression d’une confusion entre outil et culture avec le seul emploi du terme (par exemple, dans « Le numérique, né de l’Internet », expression un rien surprenante…). Je ne reviens pas non plus sur cette idée que le numérique permet l’exercice plein et entier de la liberté d’expression. Cela manque un peu de nuance, mais je ne voudrais pas passer pour un technosceptique, ce n’est pas à la mode. D’autant qu’on est d’accord pour dire que cela mérite une prise de conscience réelle dans l’éducation et/ou l’enseignement.
L’idée est intéressante et il me semble aujourd’hui très partagée, vers une application très fréquente de ce principe, de travailler sur la publication avec les élèves à tous les niveaux,
depuis l’école élémentaire au moins, dans la plupart des disciplines. C’est une préoccupation qui est amenée à devenir aussi partagée que celle de la maîtrise de la langue. Toutefois, ne concevoir que la transversalité, l’horizontalité, est problématique à mon sens. Là, je vois un souci d’ordre théorique, dans l’exposé. En effet l’utilisation de l’expression d’une « littératie numérique transversale », qui recouvre des éléments qui ne relèvent qu’en partie du numérique, c’est un problème. Quand on sait les travaux bien avancés en Sciences de l’information et de la communication (SIC), est-ce là le corporatisme dénoncé ?, qui présentent un travail de réflexion
scientifique autour d’une translittératie qui recouvre littératie médiatique, littératie numérique et littératie informationnelle, on peut légitimement questionner le choix fait dans cet article de tout ramener au numérique.
Car ce choix peut permettre de trouver ou non « comment faire ». Dans cet article, je ne vois rien de concret, si ce n’est de travailler la publication avec les élèves. La translittératie, réfléchie dans les SIC, permet de mesurer les responsabilités pour l’enseignement secondaire, les pistes diverses, avec des savoirs techniques, en technologie, avec des savoirs info-documentaires, en information-documentation (plutôt que dans une éducation aux médias et à l’information transversale), avec une culture numérique qui relève d’évolutions techniques et de pratiques sociales (sous forme de connaissances), avec différentes facettes pédagogiques (info-doc, techno, géo, français…), avec une culture médiatique qui relève aussi de différentes facettes (info-doc, français, EMC). Si l’on ne pose pas la question des responsabilités entre profs et spécialités, et les textes de la réforme ne le font pas, on n’arrivera pas davantage à avancer. Les bonnes volontés geeks ne suffisent pas !
Enfin, pour ce qui concerne Wikipédia, le propos est rapide. Ils ne sont plus si rares les professeurs documentalistes qui travaillent avec Wikipédia dans les apprentissages, et c’est peut-être davantage les autres enseignants qui y sont réticents, ce qui n’est pas sans poser des soucis de cohérence entre discours. Il faut quand même signaler, car ce n’est pas bien connu, que les professeurs documentalistes ont une formation en Sciences de l’information et de la communication, qui leur permet entre autres d’assurer des apprentissages avec les élèves autour des moteurs de recherche et des connaissances qui y sont associés (comparaison entre moteurs, travail sur les résultats du plus connu, du plus utilisé, afin de maîtriser le sujet ; comparaison entre encyclopédies – avec un travail non pas sur la fiabilité seulement, pour Wikipédia, mais aussi sur la pertinence, par exemple questionnée avec les élèves de début de collège qui pourront peut-être y préférer Vikidia par exemple ; étude des structures web afin d’élargir le champ de vision et de ne pas fréquenter toujours les mêmes sites par réflexes cognitifs, etc. etc. etc.).
La définition des responsabilités, à partir de bases théoriques bien avancées, permet ensuite la cohérence d’ensemble. Les projets de publication et de prise en compte des pratiques personnelles des élèves sont très importants, mais on ne peut pas se contenter de cela, on resterait dans l’informel volontariste, quand on peut avoir aisément les moyens d’apprentissages satisfaisants et généralisés.
Merci Florian,
Je vais essayer de répondre point par point, quand c’est possible.
« Tout à fait d’accord sur le fait que le pédagogique prévaut sur le numérique, sur l’outil, sur l’utilisation et la vision utilitariste prédominante. »
Je n’ai jamais dit ça. Jamais. Tu ne m’as pas compris. Je n’ai pas parlé du « pédagogique ». J’ai simplement dit que le numérique ne pouvait se résumer à son acception utilitaire et que c’était cette dernière qui était majoritaire dans l’E. N.
« Je ne reviens pas sur le terme « numérique », dont je ne vois pas trop la définition qui peut y être donné dans cet article. J’ai l’impression d’une confusion entre outil et culture »
Je crois encore que tu m’as mal lu. Il n’y a aucune confusion. L’acception de numérique en tant que culture est largement consensuelle dans ce pays (il y a un secrétariat d’État en charge du numérique, un Conseil national du numérique, une Direction du numérique pour l’éducation, les entreprises parlent de leur stratégie ou de leur transformation numérique). Cette acception est évidemment celle que je reprends à mon compte. Il n’y a aucune ambiguïté.
« « Le numérique, né de l’Internet », expression un rien surprenante… »
Pourtant, dans le sens commun que je donne à numérique, c’est historiquement exact. L’Internet est bien évidemment né bien avant qu’on y évoque la culture numérique qui est celle de ce nouveau siècle.
« Quand on sait les travaux bien avancés en Sciences de l’information et de la communication (SIC), est-ce là le corporatisme dénoncé ?, qui présentent un travail de réflexion
scientifique autour d’une translittératie qui recouvre littératie médiatique, littératie numérique et littératie informationnelle, on peut légitimement questionner le choix fait dans cet article de tout ramener au numérique. »
Le corporatisme (il s’agit bien d’un repli sur soi) dont je parlais est bien celui auquel tu penses. J’ai lu les mêmes arguments que les tiens sur un blogue d’un de tes collègues. Dire, comme je l’ai lu, que l’EMI, les SIC ne sont pas concernées par le numérique me fait doucement rire. Fort heureusement, je ne suis pas seul à penser et à dire (j’ai lu des avis de chercheurs très autorisés là-dessus) que le numérique, en tant que fait culturel, imprègne tous les champs du savoir, donc les champs évoqués plus haut.
Par ailleurs, si les SIC constituent un champ spécifique, l’EMI constitue bien pour l’école un chantier transversal, partageable donc, même si les compétences des profs docs en la matière sont prépondérantes. Mais j’ai déjà expliqué tout cela : https://www.culture-numerique.fr/?p=3297
« on peut légitimement questionner le choix fait dans cet article de tout ramener au numérique. »
Je ne ramène pas tout au numérique, c’est le numérique qui se ramène partout.
« Car ce choix peut permettre de trouver ou non « comment faire ». Dans cet article, je ne vois rien de concret, si ce n’est de travailler la publication avec les élèves. »
Là encore, tu m’as mal lu. Ou plutôt, tu ne me lis pas assez. Ce blogue est plein d’articles où je formule des propositions, où je lance des pistes.
Encore merci pour toutes tes remarques complémentaires qui enrichissent la réflexion.
Merci pour tes réponses.
Entendu pour le pédagogique, j’ai mal interprété, je pensais que tu souhaitais que l’on dépasse la simple utilisation de l’outil numérique, dans les réflexions, pour l’engager plutôt en amont dans une réflexion pédagogique plus large. Je me suis donc peut-être trompé.
Pour le « numérique », bien sûr il y a ambiguïté, et le consensus dont tu parles est très artificiel, de surface. Quand on va au fonds des textes, on reconnaît bien les problèmes de confusion entre outil, culture, technique, progrès, innovation… Qu’il y ait une communication politique autour du « numérique » (les trois instances dont tu parles sont des constructions politiciennes), c’est une chose, qu’il y ait consensus au sujet de ce que cela signifie, c’en est une autre. Attention aux fausses évidences.
Je suis désolé, mais il y a de très grands défauts théoriques dans tout ce que tu écris, et je ne suis convaincu qu’on fasse de la politique au feeling, par rapport à ce que l’on sent, à ce que l’on perçoit. D’autant que tu repars dans une rhétorique étrange, bien arrangeante : qui dit que les SIC et l’EMI ne sont pas concernés par le « numérique » ? personne à ma connaissance. Le reproche est bien que tu hiérarchises à partir du numérique, avec toutes les confusions énoncées sur ce terme, quand les chercheurs en SIC que tu taxes de corporatisme présentent une hiérarchisation réfléchie selon des analyses scientifiques, je sais c’est peut-être un gros mot pour toi, ce qui n’empêche pas de percevoir, d’observer, que l’informatique se retrouve dans les différents champs (médiatique, informationnel, numérique) : A. Serres, D. Frau-Meigs, H. Le Crosnier, E. Delamotte, O. Le Deuff, O. Ertzscheid, E. Schneider, V. Liquète, etc., bien sûr avec des points de vue différents, des nuances.
Sur les pistes, je commente bien cet article ; à les multiplier sur le blog, tes articles, ne pense pas qu’il va de soi que les lecteurs vont trouver toutes tes pensées comme ça. Il y a un article en soi, celui-ci, et les pistes y sont en effet concrètement limités, et tu ne poses pas une question qui me semble essentielle, celle des responsabilités, si ce n’est pour qu’on ait l’impression qu’une complète dilution convienne.
Sur ma définition du numérique, fait culturel (voir la définition de la culture numérique dans Wikipédia), c’est la mienne, elle est comprise de tous ceux qui veulent bien la comprendre et je me passerai donc de tes conseils à ce sujet.
Pour la suite, tu accumules les procès d’intention à mon égard et les erreurs factuelles, me faisant tenir des propos que je n’ai pas tenus. Pas facile de discuter sereinement.
Pour information, je suis biologiste de formation, donc scientifique.
J’ai beaucoup ri à la convocation de ton aréopage qui rassemble d’ailleurs des tas de gens qui n’ont pas grand chose en commun et, surtout, pour certains d’entre eux, qui ont déjà dit le contraire de ce que tu prétends, notamment à propos de la place de l’informatique, dont on se demande bien ce qu’elle vient faire là.
Bon, j’arrête là le décryptage de ce qui te semble tenir lieu de discours et d’argumentation, tant la confusion est grande.
Quand tu auras envie d’échanger autrement qu’en usant d’arguments d’autorité (et, franchement, il n’y a pas de quoi), ça pourra se faire. EOT comme on dit, tu peux continuer tout seul.
Bonjour,
J’ai lu avec intérêt l’article et l’échange de commentaires à sa suite. Je suis le parent d’une élève de CM2 et je connais l’école par une autre fenêtre où l’on voit bien des choses mais où nous sommes rarement invités à parler, et même quasiment proscrit dès lors qu’il s’agit de pédagogie, celle de directeur des services d’une commune.
Pour être simple et direct, je suis en phase avec l’article, un peu désespéré de l’acrimonie qui transparaît dans votre débat professionnel, et je trouve que le dernier paragraphe de Florian Reynaud mérite une autre prise en considération que je viens proposer.
D’abord, permettez-moi de me remémorer une anecdote personnelle : vers 1992-93, je suis allé avec une adjointe dans une école maternelle, où les relations entre la commune et la directrice étaient difficiles, au moment où était sorti un texte au BOEN relatif à la « communauté éducative ». Il y avait des problèmes de respect de nos personnels, ce qui est heureusement une situation assez rare. J’ai laissé un écrit qui a indigné l’inspection académique. J’y avais notamment souligné que la communauté éducative incluant des ATSEM supposait que l’on fasse une autre place à nos agents municipaux dans cette école et que le management de l’Éducation Nationale ne saurait y servir de modèle. Il a même été dit au Maire que l’Inspection avait envisagée de porter plainte ! 15 ans après, à 500 kms, je demande un jour à ma fille de 5 ans quels adultes sont dans sa classe : « la maîtresse et Monique ! ». Ma fille connaissait aussi le prénom de l’enseignante mais elle n’avait pas de mot pour énoncer le métier de Monique. Et moi-même, DGS depuis près de 20 ans, je n’avais jamais pensé à cette absence de mot pour un enfant de 5 ans, ni réfléchi à ce qu’il pouvait signifier. Voilà comment nos enfants apprennent dès le plus jeune âge un rapport social de domination induit, permettez-moi de vous dire que je porte une certaine distance aux discours pédagogiques que j’entends !
Revenons au sujet de la dispute : « tu ne poses pas une question qui me semble essentielle, celle des responsabilités, si ce n’est pour qu’on ait l’impression qu’une complète dilution convienne ». Je ne partage pas forcément la critique, mais je trouve la question pertinente. Extrêmement pertinente même : qui est responsable ? Nous voyons tous que les savoirs prennent des chemins parallèles à l’école et que la position des enseignants n’est plus celle des maîtres et qu’elle est de moins en moins confortable. Mais responsabilité de quoi ? Et de qui ? Une entreprise avec un patron ou une administration avec un directeur, ce n’est pas toujours facile à mener, mais deux patrons sous le même toit, c’est évidement une formidable invitation aux pataquès. Je suis fasciné que vous n’en parliez pas, que les médias n’en parlent jamais, que ce modèle du double patronat du primaire ait pu être reproduit au collège et au lycée sans que personne ne s’en émeuve. Mais enfin, le personnel enseignant a un projet éducatif et c’est la collectivité locale qui fournit les ordinateurs, les logiciels, les TBI, etc ! Les directeurs d’école dans mon bureau de DGS, des mendiants perpétuels… Non seulement le silo est un modèle à la ramasse, mais vous vous en payez deux pour le prix d’un dans chaque école ! C’est invraisemblable.
Sur la question de la responsabilité, je voudrais dire encore, cette fois plutôt en tant que parent, que j’attends avant tout d’avoir des adultes face à ma fille et face aux autres enfants. Et ce n’est pas toujours gagné. Mais il ne faut pas y voir une critique de la profession, plutôt le caractère extrêmement néfaste à mes yeux de la déresponsabilisation des enseignants par rapport à la gestion de leur école. Cette exclusion de la responsabilité de gestion est peut-être une position très répandue dans le salariat, mais elle pose singulièrement problème dans le rapport aux enfants. L’adulte responsable entretient un rapport de conciliation entre les moyens et les fins, on ne peut pas échapper à cette contrainte sans dommage dans le rapport à l’enfant. Je souligne à votre attention que les contraintes de gestion sont sensiblement plus fortes sur les équipes d’enseignants des écoles Steiner, Montessori ou même dans les écoles de l’enseignement catholique : de mes yeux de parent, ces contraintes ont un impact très positif sur le rapport des enseignants aux enfants.
Je partage tout à fait l’idée qu’il y a une culture numérique et que celle-ci introduit des changements très importants notamment par la remise en cause de l’autorité verticale au profit d’une structure en réseau où la compétence compte davantage que le statut. Le problème de l’école, c’est que les enseignants semblent coupés de la société et donc à peine concernés par l’impact social de l’introduction de la culture numérique. Moi, je ne suis pas particulièrement fier de laisser ma fille à l’école, avec des enseignants que je sais souvent démunis de moyens et que je ne prends pas pour plus bêtes que moi. Depuis le système minimum d’accueil et la réforme des rythmes scolaires, on sait tous que le temps salarial des parents est prioritaire sur les enfants, c’est honteux et personne ne peut en être fier.
Arrêtez de penser pour les autres ce qui est bon ou mauvais. Dans le documentaire « Etre et devenir », disponible sur internet, il y a cette phrase extraordinaire, elle provient de la bouche d’un artisan, je rêverais de la voir au-dessus du tableau de la classe : « je peux tout te montrer, je ne peux rien t’apprendre ». Stopper vos recherches de solutions dans vos écoles avec votre administration de l’Éducation Nationale, intégrez la rencontre avec les parents et les élus locaux à votre cœur de métier, ouvrez-vous pour leur demander ce qu’ils pensent vraiment. « L’impression [de] complète dilution de responsabilité », ne provient-elle pas d’abord de votre absence d’implication à construire du débat collectif de proximité autour de nos enfants ?
Cordialement.
Bonsoir,
Que dire ? Je comprends vos interrogations, agrée vos remarques, pour l’essentiel. Je n’ai pas de responsabilités dans la grande maison dont je n’observe que les évolutions et, pour ce qui concerne le numérique, regrette les manques et les hésitations. Merci pour votre contribution au débat.