Jeudi 13 décembre dernier, la Gaîté Lyrique accueillait l’opération de mise en orbite de la stratégie numérique de notre ministre de l’éducation.
Autant dire qu’il s’est passé quelque chose, à n’en pas douter… La qualité de l’accueil, l’allant, l’enthousiasme, la volonté politique réaffirmée et l’impulsion, rien ne manquait dans les discours des deux ministres — la présence à elle seule de Fleur Pellerin était un gage de la solidarité du gouvernement et le signe, peut-être, que la société est aux côtés de l’école pour l’aider à franchir le pas… — pour témoigner de l’importance nouvelle et grandissante de la place du numérique dans le chantier de la refondation de l’école.
En effet et curieusement, autant les premiers textes et retours du travail de l’été dernier laissaient augurer le pire en ne faisant, une fois de plus, qu’une toute petite place au numérique sans d’ailleurs que quiconque, ou peu s’en faut, s’en émeuve, autant les dernières déclarations officielles et les propositions de textes de loi récentes semblent être la manifestation de la prise de conscience, en haut lieu, que l’engagement de l’école dans ce domaine doit être résolu, à la hauteur des espérances que les réussies de la société, dans tous les domaines, avaient fait naître.
Je ne veux pas revenir sur les retards accumulés, non plus que sur les causes multiples et diverses de ces retards. Il me suffit de partager pleinement le diagnostic lucide proposé :
- « Une approche souvent partielle du numérique dans les 15 plans qui lui ont été dédiés depuis les années 70, principalement centrés sur l’équipement
- Un pilotage d’ensemble insuffisant de la création de ressources numériques et une faible lisibilité de l’offre disponible
- Une absence de cadre national explicite sur ce qui est attendu en matière d’usages du numérique à l’école
- Des expérimentations et initiatives sur le numérique nombreuses mais qui restent localisées. »
Il est permis pourtant de s’étonner d’un tel revirement, d’une telle réorientation radicale. Que s’est-il passé ? S’il convient de se réjouir — je ne vais pas m’en priver, pour ma part —, s’il est possible de noter les bonnes idées de ce plan, voir ci-dessous, il est aussi nécessaire de mettre le doigt sur les erreurs potentielles et les chausse-trapes prévisibles.
Parmi les bonnes idées donc, qu’on n’attendait pas, pour tout dire, il faut relever la volonté de consulter, sur l’avancement du plan, un Conseil national du numérique éducatif. À condition de ne pas en faire un organisme croupion, aréopage de copains non concernés, il peut être un outil très intéressant pour susciter l’innovation, orienter les décisions du ministère, faire enfin bouger les lignes et desserrer les vieux carcans rouillés. Nous verrons bien.
Autre projet séduisant, la création d’une offre complète de services en ligne diversifiée et accessible à tous, enseignants, élèves, parents. J’ai beau relire pourtant l’ensemble des documents et fiches qui tentent d’en décrire les fonctionnalités, il y a, derrière les déclarations d’intention, beaucoup de flou et d’incertitudes. Même si un échéancier est prévu qui permettra une ouverture progressive des services, trop de questions restent en suspens encore.
Qui sélectionnera, triera et validera les ressources mises à disposition ? S’agira-t-il de stocker ou de faciliter les échanges pair à pair ? Malgré les efforts, on voit encore, derrière le brillant, les fantômes incongrus et anachroniques de la verticalité descendante et de la validation institutionnelle. Et pourtant, quelle belle initiative que de proposer, via la télévision connectée, de « rendre les lycéens auteurs de contenus en lien avec les programmes scolaires pour leur permettre d’avoir une approche critique des médias numériques en étant eux-mêmes producteurs d’informations ». Enfin !
Et puis, malgré l’intention manifeste de libérer les droits et de faciliter la circulation des œuvres, il apparaît encore trop de timidité, de retenue, d’hésitation. Les propositions faites qui marquent de fait une absence de choix, ne sont pas, à mon avis, à la hauteur des enjeux culturels du numérique.
À propos aussi de ces services en ligne — à noter que la notion de distance a définitivement disparu, et c’est tant mieux… —, il faut noter l’encourageant projet d’accompagner, de manière personnalisée, les élèves en difficulté, les décrocheurs, les handicapés. Le volet humain semble n’avoir pas été oublié, car un service en ligne, aussi pertinent et efficace soit-il, ne peut servir de succédané à la présence, aux côtés des élèves, de maîtres compétents et spécialisés.
L’orientation trouvera aussi sa place dans ces services. Les conseillers psychologues accepteront-ils enfin ces nouvelles relations virtuelles, via les réseaux sociaux ? Un autre défi pour demain…
Un campus numérique est aussi au programme, dès 2013 jusqu’à 2017, pour accompagner la formation initiale et continue des professeurs — les cadres ne sont pas oubliés, tant mieux encore ! De même, toujours dans la perspective de 2017, le CNDP est chargé du développement d’un réseau social pour les enseignants censé leur permettre « de co-élaborer et de partager des contenus et services pédagogiques numériques, mais aussi échanger sur leurs pratiques et usages et de collaborer autour de projets communs ».
Pourquoi s'en serviraient-ils ?@GIRARD77 #EcoleNumerique Creation d'une plate-forme pour les echanges des bonnes pratiques entre enseignants
— Michel Guillou 🌱 (@michelguillou) December 13, 2012
C’était la question que je posais sur Twitter sitôt l’annonce faite : pourquoi les enseignants s’en serviraient-ils ? Ces derniers ont, depuis longtemps déjà, pour leurs activités sociales en ligne professionnelles ou même personnelles, utilisé d’autres réseaux et d’autres services. Quel intérêt les pionniers et les enseignants avertis trouveraient-ils à en changer ? Les novices se retrouveront-ils isolés dans ces nouveaux espaces ?
Cette proposition est suivie de l’étonnante assertion suivante : « Les pratiques et ressources présentant une plus-value pédagogique particulière pourront être diffusées plus largement sur les sites institutionnels nationaux et académiques » ! Quelle illusion ! Il y a bien longtemps que les enseignants n’ont pas attendu qu’une ressource soit supposément validée et valorisée par son exposition sur un site institutionnel pour s’en servir, si elle est de qualité. J’avais bien raison de me méfier, dans les premières lignes de ce billet, de l’irrépressible tendance de nos élites à imaginer séparer le bon grain de l’ivraie. Il y a bien longtemps que les internautes ont privilégié d’autres méthodes de validation et de valorisation en ligne !
Ce plan stratégique propose aussi de continuer l’aventure, si décriée et inopérante, des Espaces numériques de travail ou ENT. Je ne m’étendrai pas sur le sujet. Dans un prochain billet, peut-être ? Pour ma part, j’attendais tout de même sur ce point un peu plus de discernement et de prudence à la place de cet affichage quasi dogmatique. Je me contenterai de ce simple constat : dans la très grande majorité des cas, la mise en place des ENT, dans les collèges et les lycées, a eu pour conséquence un recul important des pratiques numériques existantes, a perturbé considérablement la vie des établissements et et n’a pas atteint l’objectif de rapprocher les partenaires des communautés éducatives.
On le voit d’ailleurs bien, à la lecture de la résolution faite d’offrir aux communes un service ENT « clés en main » pour le premier degré, ces services sont plus conçus pour la satisfaction des collectivités territoriales que pour les besoins propres des enseignants, des élèves ou des parents.
Un chapitre entier est enfin consacré à décrire les « actions prévues pour pérenniser l’entrée de l’école dans l’ère du numérique ». C’est évidemment le plus important car le plus fondateur. Rien n’est oublié, sauf peut-être l’architecture des établissements qui doit nécessairement évoluer pour permettre les usages pédagogiques du numérique et dont il n’est question à aucun moment. On évoque la nécessaire modification des programmes pour « renforcer la prise en compte du numérique ». On évoque de même la volonté de « faire évoluer les examens, dans leurs contenus et modalités, afin d’y renforcer la place du numérique ». On évoque aussi les nouvelles compétences que devraient acquérir les élèves — ne les possèdent-ils pas déjà, en tout cas mieux que nombre d’adultes ? — pour « comprendre le monde numérique ». Je regrette, pour ma part, de ne lire, derrière l’intention louable, que de vagues suggestions et évocations. Je ne perçois aucun volontarisme sur ces points à court terme. Les évolutions attendues ne sont envisagées qu’à long terme. Peut-être.
Par ailleurs, les contours mêmes des disciplines, évidemment et fortement mis à mal par le numérique, ne sont pas remis en question par ces textes, à aucun moment. On ne touche pas aux disciplines !
Ce dernier chapitre aligne ensuite les bonnes intentions dont on va espérer très très fort qu’elles soient enfin mises en œuvre : renforcer (!) la formation au numérique en formation initiale,inciter au recours à la formation par le numérique, sensibiliser (!) et former les personnels d’encadrement, valoriser les enseignants s’impliquant dans l’accompagnement au déploiement du numérique — il est temps ! nous avons juste trente ans de retard sur ce point ! —, développer des programmes de recherche en faveur des pratiques pédagogiques innovantes. Je conçois qu’il soit difficile voire très compliqué d’envisager, sur ces différents points, des mesures concrètes pour demain. Pourtant, j’aurais apprécié, pour ma part, un peu plus de détermination, de résolution, d’engagement, accompagnés de mesures plus précises et à la hauteur des enjeux.
Enfin, les nouveaux modes d’acquisition des connaissances et des savoirs, si usités déjà par les élèves, ne sont pas évoqués, non plus que les modifications radicales de postures qu’ils entraînent.
Vous l’avez compris, il y a tout au long des documents présentés en ligne, loin, souvent même très loin, des intentions louables et prometteuses à la réalité des mesures présentées. Par ailleurs, à l’exception notable des responsabilités confiées aux collectivités locales sur la maintenance des matériels et sur la mise en place des ENT, le financement de ces mesures n’est jamais évoqué, ce qui reste assez curieux, en période de crise…
Ce plan fait naître beaucoup d’espoir. Espérons que les les chausses-trapes mentionnés supra n’empêcheront pas sa mise en œuvre et son déploiement. Le plus tôt sera le mieux. Il s’agit de refonder, tout de même !
Michel Guillou @michelguillou
Crédit photo : Jason Whittaker via photopin cc
Laisser un commentaire