Le bon Célestin Freinet doit se retourner dans sa tombe. Dans son travail sur « Le journal scolaire », il pronait pour l’élève une parole libre : « L’enfant raconte et, plus tard, écrit librement ce qu’il éprouve : le besoin d’exprimer, d’extérioriser, de communiquer à son entourage ou à ses correspondants. Il n’écrit pas n’importe quoi. […] Désormais, l’enfant n’écrit plus seulement ce qui l’intéresse lui ; il écrit ce qui, dans ses pensées, dans ses observations, dans ses sentiments et ses actes, est susceptible d’accrocher ses camarades d’abord, ses correspondants ensuite… ».
Cet ouvrage, paru en 1967, post mortem donc, récapitule les idées-forces de Célestin Freinet exprimées déjà au début du siècle dernier.
En 2011, la CNIL s’adresse directement aux jeunes pour leur donner des conseils de publication. Ces derniers, au nombre de 10, sont tous présentés de la même manière : des sentences en forme d’alertes ponctuées de points d’exclamation et illustrées de figures peu amènes, pour faire peur !
Un florilège :
- Réfléchis avant de publier !
- Ne dis pas tout !
- Sécurise tes comptes !
- Vérifie tes traces !
- Fais le ménage après ton surf !
- […]
- Utilise un pseudonyme !
À l’heure ou notre ministre de l’Éducation nationale rappelle l’obligation d’une instruction morale à l’école, la CNIL, elle — à sa décharge, ce n’est pas le seul organisme officiel à le faire —, conseille aux jeunes de mentir et de cacher leur véritable identité.
Quelle régression depuis Freinet, lui qui accordait tant d’importance à la signature authentique de l’élève sous ce qu’il avait produit !
J’ai gardé sous le coude ce que disait à ce sujet, en 2002, un participant aux forums Usenet :
« Il ne faut pas prendre de pseudo anonyme et même pas de pseudo tout court, si ce n’est en contexte innocent […]. Il faut être soi-même, libre, franc, fier et respectueux d’autrui. Il n’y a pas de plus beau nom que celui que vous avez reçu en naissant et pas de droit plus fondamental que celui de s’exprimer en signant ce qu’on écrit de son vrai nom et sans risquer autre chose que de s’entendre dire qu’on a tort par quelqu’un de tout aussi libre, franc, fier et respectueux d’autrui que soi-même. La liberté d’expression, c’est ça. »
Une leçon pour la CNIL ?
Michel Guillou @michelguillou
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