Le titre de ce billet est extrait d’une phrase du rapport produit par le comité pour la Stratégie nationale de l’enseignement supérieur (StraNES). Sa présidente l’a remis ce mardi 8 septembre dernier au président de la République.
Après un premier rappel sur l’importance et le développement, fixés par la loi, de l’approche par compétences, qui « vise à construire les cursus d’enseignement non plus à partir des seuls contenus mais sur la base de compétences attendues des élèves et étudiants », cinq grands axes de travail sont assignés à l’enseignement supérieur, dont le quatrième s’intitule « Inventer l’éducation supérieure du XXIe siècle ». Il s’agit d’une longue et plaisante partie consacrée en effet à l’engagement numérique de l’enseignement supérieur. Elle fourmille de bonnes idées plus réjouissantes et iconoclastes les unes que les autres.
Descendre de l’estrade
« Depuis le déploiement d’internet, la masse des informations immédiatement disponibles a explosé ; le rôle des enseignants, traditionnellement détenteurs du savoir, et des étudiants, placés en position de récepteurs de ce savoir, a bougé, chacun pouvant maintenant apporter sa juste contribution à l’édifice collectif de la connaissance. »
Ça commence plutôt fort. Je ne sais pas trop comment une telle phrase peut être ressentie des enseignants du supérieur mais je suis certain que la réaction ne devrait pas être différente de ce qui pourrait être observé si elle était affichée dans la salle des professeurs d’un lycée. Même si chacun, dans l’estimable corporation des professeurs de tous niveaux, perçoit plus ou moins nettement cette réalité, ce ne sont des choses qui ne se disent pas ! Quant à l’écrire…
Changer le cadre de travail
Faisant le constat que « Les étudiants ont évidemment changé avec le monde qui les entoure, leur relation au savoir n’est plus la même », les rapporteurs proposent de transformer la pédagogie au fond et formulent la proposition suivante qui devrait agiter le landerneau universitaire :
« Rendre les étudiants acteurs d’une pédagogie contributive, active et numérique est une des clefs d’une meilleure réussite ; reconnaître l’implication des personnels et leur permettre de déployer leur action est un des leviers de cette transformation »
Il ne s’agit pas d’avancer lentement, au gré de supposées modes et des passades :
« L’environnement numérique de travail doit désormais être la règle, ce qui exige un accès des étudiants à un ordinateur, la mise en place des infrastructures nécessaires mais surtout un usage systématique par les enseignants et enseignants-chercheurs qui auront été formés et impliqués »
Les mots sont forts, l’injonction est claire, en direction des administrations qui doivent pouvoir fournir le matériel nécessaire aux étudiants comme en direction des enseignants qui doivent avoir été formés. Il faut noter aussi le terme fort d’implication personnelle qui s’approche de celui que j’utilise habituellement en parlant d’engagement. L’important est là et écrit : il ne faut plus traîner des pieds.
Changer l’évaluation
Le rapport propose — il ne s’agit pas d’hypothèses de travail — de « prendre acte de la transformation de l’accès au savoir et des modalités de mémorisation induit par le développement d’internet ». La conséquence est claire : il faut changer la manière d’évaluer les étudiants.
« Cela fait maintenant plusieurs décennies qu’on autorise les calculatrices dans les examens ; l’étape suivante est d’autoriser […] les ordinateurs avec accès total à internet. Cette étape est inéluctable, anticipons-la afin de permettre le déploiement d’une formation adaptée au monde qui nous entoure »
Le rapport propose de vérifier et d’évaluer donc, en se servant des médias disponibles, c’est le titre de ce billet car cette évolution me semble fondamentale « la capacité à savoir trouver l’information pertinente, à la comprendre pour la réinvestir dans une production personnelle ou collective » (voir plus loin). Le dernier mot est à noter : le numérique engage à collaborer, à co-produire, il conviendra donc d’en tenir compte pour l’évaluation normative comme en cours de formation.
Pour ma part, j’ai souvent fait le constat identique que le baccalauréat n’était pas ou plus adapté à une société numérique et surtout aux pratiques des jeunes élèves, bientôt étudiants. Ce rapport va dans le même sens et la réalité s’impose : pendant les examens, autoriser les ordinateurs est une étape inéluctable. C’est d’ailleurs le sens du titre choisi par le site Nextinpact pour en faire l’annonce.
Les rapporteurs, très logiquement, enfoncent le clou. Si les modes d’accès et de transmission du savoir changent, si l’évaluation doit changer, alors les modalités des enseignements doivent changer.
Changer la pédagogie
Il s’agit là d’un fort défi lancé à des enseignants souvent aussi chercheurs qui se préoccupent généralement assez peu de la manière dont ils dispensent leur enseignement. Pour ma part, cette révolution me paraît autrement plus importante que la simple présence d’ordinateurs sur les tables d’examen.
« Ces mesures ne sont évidemment pas seulement d’ordre technique : elles induisent une transformation profonde, et nécessaire, de la manière d’enseigner, et d’évaluer. Elles supposent de définir plus nettement les compétences réellement attendues chez les diplômés. Ainsi, le mode d’évaluation classique, c’est-à-dire sans mise à disposition de documents, induit un mode d’apprentissage dans lequel la mémorisation joue un rôle très important. Si toute l’information devient accessible en situation d’examen, les épreuves devront évoluer en conséquence : la capacité à savoir trouver l’information pertinente, à la comprendre pour la réinvestir dans une production personnelle ou collective, prend une importance plus grande et le rôle des enseignants-chercheurs dans ce processus de construction des savoirs encore plus indispensable. Elle nous semble aussi plus en phase avec les compétences nécessaires dans le monde qui est le nôtre. »
Il y a deux ans, dans un billet intitulé « Une exigence : modifier radicalement le baccalauréat », je proposais peu ou prou la même chose à propos de l’examen de fin d’études secondaires, palier vers l’enseignement supérieur :
« C’est par là qu’il faut commencer, procéder […] à un changement radical des modalités d’évaluation des compétences scolaires des élèves, sans oublier les autres, acquises hors de l’école, sans oublier non plus de vérifier que ces apprentis étudiants savent, comme on le fait maintenant de plus en plus à l’Université, s’approprier et réutiliser de nouvelles connaissances plutôt que de réciter celles qu’ils ont apprises par cœur. C’est possible même en gardant les mêmes programmes et les mêmes contenus d’enseignement. »
« Le numérique est donc bien l’occasion d’un renouveau pédagogique » précisent in fine nos rapporteurs, prenant beaucoup de précautions à expliquer aux enseignants du supérieur — pour ma part, je ne vois pas pourquoi ces mutations ne concerneraient pas aussi les enseignants du premier et du second degrés — que leur métier ne va pas disparaître, qu’il s’agit d’une évolution, une mutation, qu’ils ne seront plus seuls à délivrer des contenus mais qu’ils resteront ceux qui les feront apprendre aux étudiants et qui les aideront à les mobiliser à bon escient.
La perspective est, à mon avis, enthousiasmante. Je crains qu’elle ne soit encore vécue par beaucoup que sous la forme d’un traumatisme.
Changer l’éditorialisation des savoirs
Le rapport en référence va aussi beaucoup plus loin en bousculant quelque peu la manière dont s’élaborent et se diffusent les savoirs produits dans l’enseignement supérieur. Il propose de tirer avantage du dispositif FUN (France Université Numérique) et du développement des MOOC en particulier pour poser la question de la certification des connaissances et compétences acquises par les apprenants.
Par ailleurs, ce n’est pas là la moins novatrice de ces préconisations, le rapport avance l’idée de cesser de dilapider au profit d’intérêts privés les contenus créés dans l’enseignement supérieur. Il s’agit de placer toutes ces productions sous licence « Creative Commons » « afin d’éviter qu’une entreprise ne les capte pour mieux les diffuser… et empêche les enseignants à l’origine de la création d’en rester maîtres ». La bonne idée aurait été d’aller encore plus loin en préconisant de publier aussi sur Wikipédia, comme le font déjà fort heureusement de nombreux chercheurs.
Mais on ne va pas se plaindre. De manière évidente, ce rapport contient, à propos du numérique, au contraire de certains autres à qui on a malheureusement offert un meilleur éclairage, un grand nombre de propositions fort intéressantes qui, si elles sont mises en œuvre, risquent de bousculer quelque peu la routine et la tradition, en même temps que de contraindre à la modification de certaines postures.
Et c’est tant mieux.
P.-S. On me souffle à l’oreille — c’est un avis particulièrement autorisé — que ce rapport « c’est de l’eau tiède, le niveau zéro de la réflexion », je cite. C’est vraiment dommage, si c’est vrai, je ne suis pas capable d’en juger. Je vous assure en revanche que ce qui concerne le numérique vaut d’être lu et entendu. Et mis en œuvre.
Michel Guillou @michelguillou
Crédit photo : Eliens sous licence CC0 Public Domain via Pixabay
[cite]
Excellent article.
Merci!
Ton article porte sur un élément clef de la réflexion sur la formation et l’enseignement : que cherche-t-on à évaluer ? … ça fait un bout de temps que je bagarre sur le sujet dans mon environnement de la formation professionnelle, et ce que tu disais il y a un an est d’une grande actualité, et le restera longtemps à mon avis. L’idée est pourtant si simple, et les conséquences si limpides ! Pour aider les formateurs à éviter le piège de l’évaluation des connaissances à la place du savoir-faire, je leur suggère de définir l’objectif en commençant systématiquement la phrase par « être capable de … » et de créer l’outil d’évaluation dès qu’ils ont défini l’objectif.