On apprend aujourd’hui que le ministère de l’éducation nationale, fort de son expérience en matière de répression de la fraude au baccalauréat, compte augmenter sensiblement le nombre de détecteurs de téléphones portables dans les centres d’examen. Ainsi, cette année, tous les recteurs ont été invités à s’équiper avec de tels dispositifs. Mais on apprend que :
- tous les centres d’examen ne seront pas équipés ;
- le ministère ne donne aucune indication sur le nombre et l’emplacement de ces dispositifs techniques, ni sur la formation des personnels censés les utiliser ;
- ces détecteurs sont capables de repérer l’utilisation en connexion des téléphones, quel que soit leur âge…
C’est à se demander, à accumuler ainsi les secrets, si ces détecteurs existent vraiment ! On n’ose croire au mensonge !
L’usage massif que font les jeunes de ces « smartphones » fait apparaître un problème hautement éducatif : ils s’en servent. Ils s’en servent pour échanger, oralement bien sûr, mais le plus souvent par le truchement du texte des textos ou des réseaux sociaux. Ils s’en servent pour leurs loisirs, bien sûr aussi (c’est futile, disait récemment un proviseur à Lyon), ce qui a l’immense avantage de renforcer leur socialisation, mais ils s’en servent aussi pour travailler.
Oui, travailler. C’est ce que leur propose par exemple, pour préparer l’épreuve de philosophie, FranceTVéducation qui ouvre un MOOC Philo, accessible, bien sûr, avec un ordiphone. C’est ce que leur proposent aussi un certain nombre d’éditeurs publics et privés dont certains sont rappelés par Ouest-France sur cette page.
Ainsi nos élèves travaillent sur leurs ordiphones et les applications éducatives qu’on met à leur disposition, ils échangent et partagent via les réseaux sociaux, ils collaborent à des projets communs sur ces terminaux numériques ou sur d’autres terminaux, ordinateurs et tablettes, sur lesquels ils peuvent à tout moment accéder à l’expertise de leurs pairs, à la sagesse collective du groupe duquel ils font partie, accéder aussi aux immenses ressources encyclopédiques disponibles partout, y compris sur des sites institutionnels et universitaires, mobiliser et s’approprier ces connaissances pour co-construire…
Pendant ce temps, à intervalles réguliers, l’école voudrait les évaluer un par un, sur de vieilles tables, devant une copie blanche, munis d’un stylo, pour restituer des connaissances apprises, en totale déconnexion du monde avec lequel ils sont habituellement en harmonie.
Entendez-moi bien, je ne veux autoriser ou encourager personne à frauder ou à tricher. Je veux surtout montrer que le retard du train de l’école tend à devenir à ce point considérable qu’il est urgent de trouver une solution !
Et je veux répéter aussi — c’est quelque chose que j’ai déjà dit à propos du filtrage scolaire de l’Internet et sur laquelle je reviendrai — qu’il n’existe pas de solution technique à un problème éducatif, qui plus est dans ce cas, sociétal !
Et puis, pour finir et pour rire…
- Qui paye ces dispositifs fort coûteux ? Cet argent ne serait-il pas mieux employé à des tâches vraiment éducatives ?
- Les détecteurs savent-ils repérer toutes les fréquences d’utilisation, de la 2G à la 4G, en passant par Wi-Fi et Bluetooth ? À lire ce qu’on trouve sur le web, c’est loin d’être le cas, de nombreux modèles sachant détecter l’un ou l’autre pas mais tous les modes de transmission de données et pas forcément sur de grandes distances…
- Une fois qu’un détecteur a repéré la présence d’un ordiphone connecté, comme le surveillant de salle va-t-il faire pour savoir où il se trouve dans la salle d’examen, en sachant que la fouille est interdite ?
- Il suffit d’une recherche toute simple sur le web pour s’apercevoir qu’il existe déjà des dispositifs brouilleurs de détecteurs. Les centres d’examen vont-ils bientôt commander des détecteurs de brouilleurs de détecteurs de téléphones ?
- La fraude au baccalauréat, même avec ces détecteurs, reste possible. Nul besoin d’être connecté, il suffit, en utilisant le mode « avion » d’avoir stocké en mémoire, sous forme de son, de texte ou d’image, les données dont on a besoin. L’ordiphone est alors indétectable.
Non, finalement, ce n’est pas drôle. L’autruche saura-t-elle relever la tête et affronter vraiment les problèmes que lui pose le numérique plutôt que de continuer à ne pas voir la société avancer et à ne rien comprendre aux jeunes ?
Michel Guillou @michelguillou
Crédit photo : abac077 via photopin cc
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