À force, on finirait presque par le croire : le numérique, ce sont des usages, des technologies et des ressources, ne cesse-t-on de nous répéter.
Le numérique des usages rédempteurs
Les usages, les usages, les usages, tout le monde, à tout propos, n’a que ce mot à la bouche ! Pour ma part, je n’en peux plus, je craque. Lisez la littérature sur le numérique éducatif, on ne vous parle que de ça… encore et encore.
Les sites institutionnels ou pas ne manquent pas qui vous proposent une sélection des meilleurs outils numériques, vous donnent moult conseils pour leur utilisation, se proposent de valoriser les usages que vous en faites.
Toute la famille de mots y passe. Il convient, vous répète-t-on, histoire de vous culpabiliser, d’utiliser des outils numériques, de telle manière à outiller les apprentissages. Cela peut être utile.
Oui, mais ce n’est pas très actif.
Le numérique des technologies triomphantes
Autre leitmotiv, celui des technologies — c’est plus moderne que « techniques » — qu’on vous annonce comme, tenez-vous bien, nouvelles — il y aurait tant à dire sur cet anachronisme !
Elles sont à toutes les sauces, éducatives, dites de l’information et de la communication. Comme le U qui s’est glissé dans l’acronyme TUIC qui fait florès dans le premier degré, dans la suite de la compétence 4 du socle commun, on les dit aussi usuelles — tiens ! tiens ! quel savoureux mélange !
Le numérique des ressources bienfaitrices
Là, on est dans la tarte à la crème, bien coulante, bien subventionnée.
Comment, vous n’avez pas d’usages ? Vous êtes mal à l’aise avec les technologies ? Il vous faut des ressources et tout va s’arranger…
Depuis des années, que dis-je ? des décennies, le ministère soutient à bouts de bras une édition éducative moribonde. Jalouse de ses privilèges, incapable de prendre à temps le virage du numérique, de concevoir des objets didactiques interopérables et surtout adaptés aux besoins, elle survit des injections successives massives de subventions publiques.
Récemment, et c’est heureux, on a pris conscience en haut lieu de l’importance des échanges et du partage de ressources entre enseignants, de pair à pair. Tant mieux si, sur les plateformes qu’on nous annonce, ces dernières auront leur place.
Et la culture numérique, b…
C’est la seule valeur qui vaille. Ni rédemptrice, ni triomphante, ni bienfaitrice, elle se construit dans la proximité et la sensualité de la relation humaine, via un paradigme sociétal étonnant et déconcertant. Elle est au centre du cercle, au centre de tout le reste, elle est fondamentale, elle nous construit, chacun d’entre nous, comme nous la construisons ensemble.
C’est bien d’acquérir cette culture numérique échangeable, partagée, commune que chaque enseignant a besoin, plus que d’utiliser des outils, ressources ou technologies. Ne rêvons pas, l’acquérir n’est pas simple, cela demande des efforts, de gros efforts. D’abord se former, au contact de bons formateurs — ils sont bien rares ceux qui ont compris que le numérique était d’abord culturel —, puis confronter sa pratique (ne pas confondre usages et pratiques) à celle des autres, co-construire des savoirs partagés, collaborer enfin.
Ce n’est pas donné à tout le monde. Les efforts produits mettent à mal les potentats, les postures, le confort, les mandarinats, les hiérarchies, les attitudes magistrales, l’autorité. C’est douloureux parfois, mais tellement important.
Oui, la culture se conquiert et ne s’hérite pas, Malraux avait raison dans son Hommage à la Grèce.
Les journalistes, dont je ne cesse de répéter ici qu’ils sont confrontés aux mêmes difficultés et défis que les enseignants, se sont aussi posé ces questions. Mario Tedeschini, sur son blog, nous dit que « le numérique n’est pas une technique à apprendre mais une culture à vivre… »
Ces défis culturels sont posés aux journalistes et aux professeurs mais aussi, dès demain, à tous les citoyens. Vivons-les donc. Ensemble.
Michel Guillou @michelguillou
Crédit photo : Dietmar Temps via Compfight cc
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