Après les deux premiers billets sur ce modèle, 5 bonnes raisons de ne pas être sur Twitter quand on est prof, après les 10 bonnes raisons d’échapper au numérique, j’ai souhaité faire un point au sujet spécifique d’Internet duquel il convient de vous éloigner dare-dare en toutes circonstances. Non, décidément, croyez-moi sur parole, ce lieu n’est pas fait pour vous et vous trouverez ci-dessous, à titre d’exemples pouvant vous être utiles, 5 bonnes raisons à fournir à la demande aux élèves, parents, collègues, inspecteurs, chefs d’établissement — rayez la ou les mentions inutiles — pour expliquer votre choix.
Je vous préviens tout de suite : pour la plupart d’entre vous, les deux premières raisons suffiront à vous convaincre de renoncer illico. Pas besoin d’aller lire les trois suivantes, superfétatoires en l’occurrence.
Première raison : l’État nous protège
Pas besoin d’aller plus loin. Notre ministre de l’intérieur, Bernard Cazeneuve, ne cesse de le répéter ad nauseam, « 90 % de ceux qui s’engagent dans des opérations terroristes le font après avoir consulté des sites sur Internet ».
Il faut donc comprendre qu’Internet est littéralement infesté de terroristes de toutes engeances dont je vous épargne les vocables anxiogènes, sans compter les avanies dont, nous le savons tous, nos dirigeants avisés veulent réguler les excès et les intempérances. Tout récemment, le premier policier de France est allé expliquer dans la Silicon Valley aux grands opérateurs Facebook, Google, Twitter et d’autres encore qu’ils devaient contribuer à l’assainissement général, ce dont ils sauraient s’acquitter, leur a-t-il confié, avec plus de sagacité et de pertinence que n’importe qui, à commencer par nos juges…
Bernard Cazeneuve aurait tort de se priver, il a l’opinion publique avec lui.
En attendant, le mieux est de ne pas commencer avec des élèves. Nous verrons plus loin que, dans leur grande innocence, ils ne sauraient se préserver du pire et tomberaient sans tarder entre les mains des pires truands.
Deuxième raison : les académiciens et informaticiens nous recommandent d’être débranchés
Ils sont tous d’accord sur le sujet, nos vaillants professeurs et savants académiciens et informaticiens, ils militent tous, à la Société informatique de France, à l’Académie des sciences, au Conseil national du numérique, au CNRS, pour une informatique débranchée. Ainsi, Colin de la Higuera, qui préside la Société informatique de France préconise pour l’enseignement de l’informatique « une approche ludique autour du code et de l’informatique débranchée ».
Il existe un double effet à ce côté débranché, figurez-vous, car ce mot signifie à la fois sans connexion à l’Internet et sans ordinateur. Ça doit être drôlement ludique ! Ils en ont de la chance, ces enfants codeurs !
Troisième raison : ça ne marche pas
Attention, cette troisième raison se divise en 3 sous-raisons !
- Ça ne marche pas parce que, c’est ballot, tout votre emploi du temps vous fait travailler dans une salle non connectée…
- Ça ne marche pas parce que c’est d’une lenteur exaspérante, qu’il faut attendre de longues minutes pour que le moindre clic fasse son effet…
- Ça ne marche pas parce qu’on a décidé pour vous, dans des aréopages informels mais néanmoins autorisés, que non, justement, les sites que vous vouliez visiter sont incompatibles avec l’enseignement.
Finalement, non, ça n’en vaut pas la peine.
Quatrième raison : ça fait trop plaisir aux élèves
Oui, fort probablement, ils y prendraient du plaisir. Et, à l’heure où il convient davantage de leur redonner le goût de l’effort, il est nécessaire de prendre des mesures. Les activités de recherche, par exemple, doivent se faire exclusivement au CDI, sous la responsabilité bienveillante du professeur documentaliste, et dans le fonds documentaire des encyclopédies rangées sur les étagères. Pas question de se servir de Wikipédia dont on se sait trop par qui les articles sont écrits et qui doit colporter pas mal de contrevérités. La science, l’histoire, le traitement de l’actualité ne supportent pas l’à-peu-près ou les réécritures médiocres à plusieurs mains, c’est affaire de spécialistes et d’experts et ça doit le rester !
Une bonne idée serait de changer un article de telle manière que la nouvelle présentation, à propos d’une femme ou d’un homme célèbre, un écrivain, par exemple, soit complètement erronée. Il ne vous reste plus alors qu’à interroger les élèves à ce sujet, vous les verrez alors se précipiter tous et recopier sans rien vérifier l’article falsifié par vos soins… Sont-ils benêts ! Sont-ils naïfs !
Non, décidément, Internet reste le terrain de jeu favori de toutes les turpitudes scolaires et des mauvaises habitudes irresponsables. Plagiat, copier-coller intempestifs, absence de vérification, transgression des consignes, remise en cause de la légitimité immémoriale de la figure professorale , contestation de la vérité sont le lot quotidien des errances en ligne des élèves.
Enfin, nous l’avons vu, leur innocence crédule ne saurait les préserver des prosélytes, des marchands, des proxénètes, des terroristes — voir plus haut —, des sectaires, des djihadistes, des francs-maçons, des droits-de-l’hommistes, des racistes, des antiracistes qui pullulent en ces lieux fétides.
Cinquième raison : le péché originel
On vous l’a dit mais vous ne l’avez pas cru, ce n’est pas Wanadoo qui a inventé l’Internet, mais des universitaires américains informaticiens un peu anarchistes qui voulaient, dans les années quatre-vingt, échanger des données de pair à pair. Les protocoles de transport de données dans ces époques reculées étaient alors construits sur un modèle décentralisé et redondant qui donnait au système sa solidité et sa pérennité.
De tous temps, l’Humanité n’a pas fonctionné ainsi. Les livres ont été écrits puis stockés dans des bibliothèques pour qu’on puisse les lire, la connaissance s’est transmise de maître à élève, non sur la place publique mais dans des lieux préservés des agitations du moment. Les structures de l’entreprise et de la société ont toujours contraint à un fonctionnement centralisé qui met en action la verticalité des processus décisionnels. Je caricature et simplifie à dessein mais l’Internet horizontal et réparti, vous l’avez compris, vient créer un choc culturel au contact de ce système vertical qui avait pourtant montré, de longue date, son efficacité.
Vous avez cru comprendre qu’avec le web centralisé, lui aussi, l’Internet se conformait au modèle majoritaire et commun. Mais vous apprenez aujourd’hui que naissent des lieux de coopération, de collaboration, de co-construction collective, des réseaux sociaux où, vous dit-on, se construit la citoyenneté numérique de ceux qui s’y engagent, des dispositifs qui permettent que s’exerce enfin, de manière pleine et entière, la liberté d’expression.
Pas question de laisser faire ça ! L’exercice plein et entier de la liberté d’expression n’aboutit qu’à la sublimation de la médiocrité, à l’expression de la haine et à la banalisation de l’anonymat et de l’irresponsabilité. La co-construction et la collaboration mettent à mal les experts seuls capables de donner du sens et un objet aux projets collectifs. La citoyenneté s’exerce dans la société civile et non sur des réseaux incertains qui mettent, par ailleurs, à mal vos données personnelles sans qu’il soit possible de réagir.
Vous n’utiliserez donc pas Internet avec vos élèves, c’est décidé.
De toutes façons, dans dix ans, on n’en parle plus.
Michel Guillou @michelguillou
Crédit photo : Push the Button! 207/365 via photopin (licence)
[cite]
Je suppose qu’il y avait un clin d’œil à cette « expérience » :
http://rue89.nouvelobs.com/2012/03/22/jai-piege-le-net-pour-donner-une-lecon-mes-eleves-230452
Je confirme, mais était-ce la peine de lui refaire de la pub en mettant le lien ?
J’adore ce nouveau billet. Sur ce, retournons à nos cavernes!
J’apprécie aussi ces raisonnements par l’absurde. Bien plus efficace que de défendre le concept pour ce qu’il est : libertaire, sans limites et surtout ludique. Pour ce dernier trait, les élèves l’ont compris avant les adultes. Ils n’ont aucune prévention pour l’outil et ses usages, universellement répandues dans leur génération.