Les critiques pleuvent de toutes parts à propos du baccalauréat sur les épreuves duquel planchent encore aujourd’hui nos grands lycéens de première et de terminale. La plupart sont justifiées, bien sûr : les épreuves seraient trop difficiles ou trop faciles, en tout cas inadaptées au programme et au travail fait en classe. Nombre de professeurs déconcertés s’en plaignent, ne sachant comment préparer au mieux leurs élèves.
D’autres critiques émanent comme d’habitude de syndicats conservateurs — c’est un euphémisme — qui hurlent à la baisse du niveau ! On pourrait en rire… quoiqu’on ait souvent mieux à faire.
Mais je n’ai vu ou lu jusqu’ici aucune critique fondamentale sur l’inadéquation totale de l’examen, celui-ci, le baccalauréat, comme d’autres, à l’état et l’avancée de la société et ce que sont devenus, profondément, viscéralement, joyeusement, les ados d’aujourd’hui. Personne ne s’est-il aperçu qu’ils avaient changé ?
Dans ce dernier billet ci-dessus en référence, je posais un certain nombre de questions qui restent d’actualité :
- Peut-on continuer à interdire les outils numériques personnels des élèves quand chacun d’eux est un terminal ouvert sur le monde ?
On a vu le ridicule de cette institution qui, telle l’autruche, ne veut rien savoir des usages numériques des jeunes et installe (ou fait semblant d’installer, ce qui est pire !) dans les salles d’examen des détecteurs de téléphones portables, préférant résoudre par les seuls moyens techniques un problème hautement éducatif (la triche supposée).
- Comment concilier le travail collaboratif et coopératif avec l’évaluation traditionnellement individuelle ?
- Comment faire évoluer les examens pour permettre l’évaluation des capacités à se saisir des connaissances disponibles en ligne et à se les approprier ?
Aujourd’hui, j’ajouterais :
- Qui se préoccupe de comment évaluer les nouvelles compétences sociales des élèves qui leur permettent d’accéder à une certaine forme de culture numérique et de publier et de s’exprimer massivement, comme jamais un élève n’avait eu, jusqu’ici, l’opportunité de le faire ?
Tout se passe comme si on demandait à ces élèves, à l’occasion de cet examen, de tout quitter, de tout laisser à l’entrée de la salle, les compétences sociales et citoyennes qu’ils ont acquises, les dispositifs techniques qui leur permettent de les mettre en œuvre et d’accéder à l’essentiel des connaissances disponibles, de renier ce qu’ils sont profondément, des internautes digiborigènes aguerris, comme dit Yann Leroux.
« Le baccalauréat est-il est frein au développement du numérique ? » demande opportunément Claude Tran dans Educavox.
La réponse est oui, bien sûr.
À la différence qu’un frein empêche partiellement une progression alors que l’absence totale — je répète : totale — de réflexion ou d’idées de nos élites sur le sujet du baccalauréat ou des autres examens du second degré dans les propositions avancées pour construire l’école numérique condamne définitivement ces dernières.
Définitivement.
C’est humain et tout naturel : pourquoi les pratiques en classe changeraient-elles quand tout ou presque est construit, de la maternelle à la terminale, pour préparer les élèves à réussir ce sacro-saint baccalauréat, tel qu’il est, guère différent de ce qu’il était au milieu du siècle dernier, aujourd’hui déconnecté de la société et des pratiques des élèves, demain déconnecté des possibles et heureuses évolutions numériques en classe ? Si rien ne change dans ses modalités, radicalement, rien non plus ne changera au quotidien, dans la classe.
C’est par là qu’il faut commencer, procéder dès 2014, à un changement radical des modalités d’évaluation des compétences scolaires des élèves, sans oublier les autres, acquises hors de l’école, sans oublier non plus de vérifier que ces apprentis étudiants savent, comme on le fait maintenant de plus en plus à l’Université, s’approprier et réutiliser de nouvelles connaissances plutôt que de réciter celles qu’ils ont apprises par cœur. C’est possible même en gardant les mêmes programmes et les mêmes contenus d’enseignement.
Le Danemark et d’autres pays après lui, au nord de l’Europe, ont déjà fait évoluer ces examens de fin de cycle, apparemment sans problème majeur, en permettant aux bacheliers d’utiliser pendant les épreuves des terminaux d’accès à l’Internet. Introduisons, pour éviter le stupide bachotage actuel, une dose d’évaluation continue, en première et en terminale, mais s’il s’agit, pour garantir l’égalité républlcaine, de conserver l’examen terminal du lycée, comme barrière à franchir pour accéder à des études universitaires, modifions le radicalement en prenant exemple des réussites nordiques, en adaptant les exigences de l’école à celle de la société et aux compétences réelles des élèves.
C’est un défi pour tout de suite, il ne faut pas attendre.
Michel Guillou @michelguillou
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