Éducation au numérique : gare aux lobbys obscurantistes !

Binaire

Depuis qu’au ministère de l’éducation nationale, on a eu l’idée lumineuse d’envisager, peut-être — attendez ! on va d’abord voir dans les vingt collèges pilotes si ça marche ! — de se lancer dans l’enseignement et la formation au numérique et par le numérique, les décideurs sont pris dans le feu nourri et croisé des lobbys et des marchands (ce sont parfois les mêmes) !

Du coup, surgissent d’un néant obscurantiste post-moderne les états d’âme, avis et autres déclarations dans les médias de lobbyistes auto-proclamés experts sur le sujet et qui, sous couvert d’une notoriété passagère, assènent à la suite contre-vérités et amalgames convenus sur le sujet de ces nouveaux enseignements.

Là, tout récemment, c’est le Conseil national du numérique qui s’y est laissé prendre — le précédent, dirigé par Gilles Babinet avait fait des propositions plus raisonnables et responsables en la matière — dans son avis du 18 juin dernier où il relaie sans barguigner les propositions de ceux de ses membres déjà présents à l’Académie des sciences. Si c’est pas du lobby, ça !

Premier syllogisme, augmenté d’une confusion savamment entretenue par la dérive sémantique : le numérique est partout donc il faut enseigner l’informatique, de la maternelle à la terminale, par des professeurs d’informatique. J’ai déjà dénoncé ce syllogisme en forme d’attrape-nigaud et d’entourloupe dans cet article où je rappelais ma position globale sur l’enseignement du numérique et au numérique que j’appelle de mes vœux :

« L’école a pour mission de former de jeunes citoyens autonomes et responsables. Dans cette perspective, il convient de les former à une responsabilité numérique — plus d’ailleurs que d’enseigner une identité numérique, j’y reviendrai plus tard — afin de pouvoir appréhender et comprendre tous les enjeux du numérique, économiques, sociétaux, culturels, techniques, philosophiques, éthiques… »

Et pas seulement scientifiques, aurais-je pu ajouter, comme on s’acharne à nous le faire croire.

Mais il est d’autres lobbyistes, qu’on a connu plus raisonnables en d’autres occasions, qui, emportés par la fougue de leur jeunesse, contribuent à distiller des idées qui me paraissent pernicieuses au même degré que celles des lobbys informaticiens.

Ces lobbyistes-là, il faut les chercher dans des milieux mouvants et interlopes que sont les associations qui militent pour la défense du logiciel libre et de la neutralité de l’Internet, autant de grands projets qui valent la peine d’être soutenus, ce à quoi je me suis toujours attaché.

Ils se piquent, eux aussi, d’avoir des idées pour l’éducation de demain — qui n’en a pas ? tout le monde est passé par l’école de la République… — et ont eu l’idée lumineuse, déjà énoncée par Jérémie Zimmermann, de la Quadrature du Net, lors d’une des premières émissions de Vinvin Le Grand Webzé et réaffirmée par @Numendil à La Cantine à l’occasion de Pas Sage en Seine 2013#pses2013 d’énoncer qu’il conviendrait qu’à l’école on apprenne enfin aux élèves à devenir anonymes et à chiffrer leurs communications !

Ne riez pas ! C’est du sérieux. Je n’ai pas, à ma connaissance, entendu ou vu quiconque protester contre de telles inepties !

Tout dans le combat des grands pédagogues du siècle dernier pousse au contraire : promouvoir l’expression libre et responsable des élèves, qu’ils pouvaient signer de leur main, sans rien craindre d’autre que de se voir contredits.

Vous me direz, à juste titre, que ces pédagogues-là ne connaissaient pas l’Internet et ce qu’en ont fait, en terme d’appropriation et de marchandisation des données personnelles, les entreprises qui s’y complaisent. Certes. Mais on ne combat pas ce néo-obscurantisme libéral numérique par un autre obscurantisme qui consisterait à se couvrir d’une cagoule ou d’un masque ridicule, et l’autonomie, qui donne la possibilité du choix, et la responsabilité, qui permet d’assumer ce dernier, doivent continuer à être des valeurs fondamentales de l’éducation.

S’il est possible, parfois, dans certaines situations où les libertés fondamentales sont menacées, de faire le choix personnel d’anonymiser ses écrits et de chiffrer ces derniers — il s’agit tout de même d’en faire le choix et cela aussi peut s’enseigner —, la règle doit rester d’apprendre à l’école à signer, de manière responsable, authentique, fière et heureuse, ce qu’on écrit, produit et publie, sous le patronyme que nous ont donné nos parents.

Pour ma part, c’est ce à quoi je me suis toujours attaché, comme ici-même.

Michel Guillou @michelguillou

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Crédit photo : Ra Moyano via photopin cc

 

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