L’actualité de l’éducation et du système éducatif est très régulièrement agitée voire secouée par des questions qui enflamment les passions. C’est d’ailleurs une caractéristique de ce domaine que tout le monde se sente concerné et donne son avis — chacun a fréquenté les bancs de l’école ou a des enfants qui y sont encore —, à commencer par ceux qui disent n’avoir rien à dire, desquels il convient de se méfier en priorité. Cela dit, on se passerait bien volontiers parfois de certains avis navrants exprimés dans des médias complaisants qui ouvrent leurs colonnes à des trolls qu’on croyait disparus.
Tout récemment encore, ces dernières se sont fait l’écho tour à tour de questions éducatives fort différentes mais qui ont pourtant bien des points en commun, nous allons le voir.
Le plagiat et Wikipédia
L’idée de ce billet m’est venue suite à la lecture d’un article de Nextinpact, qui nous annonce tout gaiement que la ministre de l’Éducation nationale et de l’enseignement supérieur ne trouvait rien à redire au déploiement des logiciels anti-plagiat dont le coût faramineux grève lourdement le budget des universités. En réponse à un député socialiste qui s’inquiétait « À l’heure du numérique, de plus en plus de travaux universitaires sont composés de copier-coller qu’il est important de détecter pour le respect de la propriété intellectuelle » (sic), notre vaillante ministre, consciente des enjeux, lui apporte son soutien total en rappelant l’engagement de ses services pour lutter contre ce fléau et rappeler que la France dispose d’un arsenal législatif permettant de sanctionner les fraudeurs et le plagiat !
On admire la virtuosité politique qui consiste à répondre à un problème hautement éducatif par une réponse double, technique et répressive.
Passe encore que, tous les jours, dans les salles de classe des collèges et lycées, dans les espaces documentaires, les professeurs soient pris au dépourvu, les programmes n’ayant pas changé non plus que les manières d’évaluer, par les pratiques numériques massives de leurs élèves qui recopient sans se poser de questions des articles entiers de Wikipédia… Passe encore que les universitaires comprennent encore difficilement les pratiques de leurs étudiants qui copicollent joyeusement les travaux des autres, à commencer par ceux qu’on trouve fort heureusement en ligne.
J’ai déjà abordé toutes ces questions (1). Franchement, je serais à la place des dits professeurs, je serais aussi préoccupé qu’eux. Comment faire ? J’ai bien quelques réponses possibles, dont l’une et sans doute la plus raisonnable peut tenir en une simple proposition, l’appropriation plutôt que la restitution, mais j’aimerais répéter ici ce que j’ai déjà dit :
« Innover, ce n’est pas mettre des cataplasmes sur son enseignement quand les modalités de ce dernier sont profondément changées par le numérique omniprésent — je pense en particulier à la copie numérique des œuvres, à leur utilisation et reproduction collective, au plagiat, au copier-coller, au travail collectif et collaboratif… »
En tout état de cause, parce que ce sujet concerne l’éducation, la réponse politique et institutionnelle ne peut pas être une réponse technique, avec les fameux, si onéreux et inutiles logiciels anti-plagiat, ou répressive, l’arsenal habituel des réprimandes, sanctions et exclusions.
Autre secousse, celle qui fait trembler les défenseurs d’une posture magistrale immuable transcendée qui imaginent, à raison, que les élèves vont vérifier, sur Wikipédia ou ailleurs, ce que leur disent leurs professeurs (2) ! C’est vrai que ça fait peur…
L’écriture cursive
La publication récente d’une enquête à propos de ce que fait maintenant la Finlande quant à l’apprentissage de l’écriture fut l’occasion d’un déchaînement de passions et d’amertumes. Je ne veux pas revenir là-dessus mais faire pourtant deux observations. D’abord convient-il de s’étonner que les pratiques finlandaises nous surprennent autant, car, ailleurs, aux États-Unis par exemple, on a déjà renoncé depuis belle lurette à l’écriture cursive. Bon, ce sont les Américains, me direz-vous… Deuxièmement, on a, je crois, mal interprété l’aventure finlandaise dont les enseignants, contrairement à ce que d’aucuns ont rapporté, n’ont pas, parallèlement à leur engagement numérique, renoncé à l’écriture manuelle, en privilégiant néanmoins sa forme scripte.
À ce propos, sans trop m’engager, j’ai tenté de lancer quelques pistes prospectives mais hasardeuses (3). L’affaire est complexe en effet car l’avenir des interfaces et des outillages numériques est incertain, dans leurs formes comme dans leurs fonctionnalités. Qui sait en effet sur quel clavier réel ou virtuel ou selon quelles modalités on saisira du texte dans quelques mois, quelques années ?
La question, en tout cas, mérite d’être posée et ne l’est pas ou presque en France. Qui s’en préoccupe sérieusement ? En la matière, la procrastination est la règle. Les cognitivistes et les psychologues s’affrontent à coups de rapports définitifs, qui ne tiennent compte, ni les uns ni les autres, des réalités, le constat par exemple qu’on n’écrit quasiment plus à la main après le baccalauréat, à l’université ou dans l’entreprise (4).
Une certitude, les réactionnaires et frileux de toutes engeances devront s’en convaincre, c’est une question de mois ou d’années, on n’écrira plus, on ne saisira plus de texte, que sur des machines et l’écriture manuelle, scripte évidemment, ne sera plus qu’un succédané occasionnel.
L’enseignement du code
Voilà encore un sujet polémique qui m’a occasionné quelques agacements, pour la raison principale que la question de son apprentissage avait tendance à confisquer le débat en cours sur la culture et la littératie numériques (5). Et puis, c’était regarder l’avenir par le petit bout de la lorgnette…
Il n’est pas question ici de débattre à nouveau de l’opportunité de son apprentissage, non plus que celui de la programmation et de l’algorithmique. Sans urgence et toujours en relation directe avec le projet pédagogique, ces apprentissages peuvent légitimement trouver place dans des activités d’éveil, dans les espaces scolaires ou périscolaires, en attendant d’être pris en charge par les disciplines, dans le cadre d’une littératie numérique globale, partie prenante d’un socle commun rénové.
Mais quel choc ! Qui aurait pu imaginer qu’on se préoccupe de tout cela, il y a quelques années encore…
La culture numérique
Puisqu’on en parle… la construction du nouveau socle est soumise à de fortes tensions, cela s’entend, entre fermeture et ouverture, proaction et réaction, innovation et archaïsme… Les différentes versions qu’on nous a proposées montrent assez bien, à propos de la culture numérique, qu’on a en haut lieu, au Conseil supérieur des programmes, un mal fou à lui faire une place à côté des cultures littéraire, humaniste, scientifique et technique. Dans la version qu’on nous propose aujourd’hui, le numérique n’est tristement et quasiment compris que pour adjectiver les outils et les supports.
Pourtant, l’engagement de son premier président semblait résolu… (6) Patientons…
L’évaluation et la notation
Voilà encore un sujet qui a fait les choux gras des journalistes à la recherche des polémiques sur l’école. C’est vrai qu’il faut vendre… et du papier, d’abord.
Mais qui a dit, parmi tous ces commentateurs avisés, les médiateurs ou les experts autorisés, que ce sujet apparaissait à nouveau aujourd’hui en partie à cause du choc des pangées, le numérique et l’éducation ? Pour quelles raisons l’accès aux informations et leur déchiffrement, l’appropriation des connaissances, la construction des savoirs sont-elles en tension aujourd’hui, jusqu’à remettre en cause la manière dont on note et évalue ?
L’émergence de modes de construction collectifs ou collaboratifs des savoirs, la mobilisation des intelligences dans les groupes au profit de productions à plusieurs, la perception nouvelle de l’erreur sont de nature à remettre en cause de manière profonde les modes de notation et même d’évaluation de l’acquisition des connaissances et des compétences — voir le socle nouveau qui prend peu en compte ces problèmes.
Dans ce dernier, le collectif n’est envisagé que dans le cadre de l’insertion sociale, jamais dans la construction de savoirs. Quant à collaborer, le socle n’en parle que pour faire des sites à plusieurs. Ses auteurs savent-ils bien de quoi ils parlent ? Les enjeux ne sont pas là… pas seulement.
Les programmes et les examens
Il y a de quoi être inquiet. La collision risque là d’aboutir à des systèmes de failles complexes en perpétuel mouvement.
Plus que les programmes, dont l’adaptation et la lecture peuvent être différentes malgré une construction encore bien ancrée dans des habitudes du dernier millénaire — on s’attend tout de même à ce qu’ils soient sérieusement rénovés et qu’ils s’éclairent du numérique —, ce sont les examens qui mettent en forte tension l’ensemble du système, coincés entre les pratiques numériques médiatiques des élèves et les modes de restitution complètement archaïques des examens, notamment dans le second degré, brevet et baccalauréat.
L’urgence est là, plus qu’ailleurs. Juin prochain sera-t-il à nouveau un mois comme tous les autres, depuis un siècle au bas mot, où des élèves restituent patiemment, pendant des heures, des connaissances acquises, au stylographe sur des tables rectangulaires séparées les unes des autres ? Ne parlera-t-on encore et toujours, à propos des examens, que de la « triche » due aux smartphones ou autres dispositifs numériques ou des improbables, inutiles et inopérants systèmes techniques de détection pour empêcher tout cela ?
Combien de temps ce cirque et ce mépris affiché à l’encontre de la jeunesse vont-ils encore pouvoir continuer ?
On avait évoqué la possibilité, pour aller encore plus loin dans la stupidité institutionnelle, d’installer autour des centres d’examens des cages de Faraday empêchant les communications avec l’extérieur. C’est un projet qui a été abandonné, semble-t-il. Mais, de fait, en proposant toujours des modes d’organisation primitifs et anachroniques, ce sont bien des cages de Faraday virtuelles qui sont installées autour de chaque candidat, aujourd’hui.
La culture
Le domaine de la culture et sa valorisation au sein de l’école, comme dans la société, sont considérablement bouleversés par le numérique.
Les échanges et le partage sont hier mais encore plus aujourd’hui au fondement même de la création culturelle. J’aimerais citer le point de vue lucide à ce sujet de la Quadrature du Net dont j’ai rappelé, en appelant à son soutien récemment (7), combien cette association portait de valeurs proches de celles d’une éducation raisonnée :
« Internet et les technologies numériques permettent à chacun de partager librement l’information numérique. La réappropriation et modification des œuvres (remix) devient en outre une pratique d’expression pour toute une génération. Aussi, les droits intellectuels sur l’information, quelle qu’elle soit, doivent s’adapter à cette nouvelle donne afin d’encourager l’accès à la culture et à la connaissance. Cela suppose de mettre un terme à la guerre contre le partage d’œuvres culturelles, et d’adopter des politiques permettant la réappropriation de la culture et de la connaissance par le public. »
Et tout ça vient en parfaite contradiction avec le sempiternel mais peu crédible rappel à la loi que les recommandations officielles prodiguent. Et tout ça, vous l’avez compris, est en accord avec les pratiques numériques personnelles des élèves…
Les rebonds et secousses secondaires
Nous l’avons vu, des valeurs immémoriales, des chantiers en cours sont les premiers touchés par ces premières secousses. Au-delà du copier-coller, du plagiat, de la critique de la posture magistrale comme source unique des savoirs, de l’apprentissage de l’écriture, de celui du code et de la programmation, de l’émergence parmi d’autres d’une culture numérique, de l’évaluation et de la notation, des examens et des programmes, de la culture qui subissent des secousses telluriques importantes, il y a bien d’autres piliers de l’école qui risquent d’être bientôt fortement ébranlés.
Vous l’avez compris, cela concerne les temps scolaires, les espaces d’enseignement réels ou virtuels, les services des enseignants, les missions des personnels, cadres et professeurs, les cloisonnements disciplinaires et donc la transversalité des pratiques, la vie scolaire, la responsabilité et la citoyenneté des élèves, leur engagement personnel et collectif, les missions mêmes qu’on assigne à l’école…
Je ne lui souhaite pas le pire. Je crois qu’elle survivra à tous ces chocs et qu’on pourra la préserver de tous ceux qui veulent sa peau. Mais, pour cela, il faut exercer sa raison, se mettre au travail tout de suite et proposer des réponses éducatives. Avant le cycle des prochaines secousses…
Michel Guillou @michelguillou
Crédit photo : Eric-P, incanus et christing-O- via photopin cc, Wikimédia
- Imaginer et innover… ou subir le plagiat et le copier-coller https://www.culture-numerique.fr/?p=120
- Oui, bien sûr, les élèves vont vérifier ce que disent leurs professeurs ! https://www.culture-numerique.fr/?p=2250
- Qui se plaindra de la fin de l’écriture cursive ? Pas moi… https://www.culture-numerique.fr/?p=2284
- Bacheliers, c’était la dernière fois que vous avez écrit à la main ! https://www.culture-numerique.fr/?p=1153
- Bien entendu, on peut sauter sur sa chaise comme un cabri en disant le code ! le code ! le code !… https://www.culture-numerique.fr/?p=634
- Alain Boissinot : « Il devient à la fois possible et nécessaire, grâce au numérique, d’enseigner autrement » https://www.culture-numerique.fr/?p=190
- Pourquoi l’éducation doit soutenir la Quadrature du Net https://www.culture-numerique.fr/?p=2424
[cite]
Vos billets sont très souvent inspirants. Celui-ci offre une synthèse d’un ensemble de questions qui secouent profondément le milieu de l’éducation. Profonde réflexion s’impose. Je rêve d’une boule de cristal me permettant d’entrevoir l’avenir. Faute de cet outil je me contente de réfléchir . . . Nous vivons, n’en doutons une époque charnière, mais par contre au quotidien les écoliers en sont que légèrement affectés. Pour eux, c’est « Business as usual ». Ecole, profs, étude, examens et travaux, malheureusement « un mortel ennui » pour un trop grand nombre d’entre eux. En continuant l’angle ésotérique . . . je rêve . . . d’éveiller leurs esprits. Croyez-vous que de ces secousses telluriques émergeront de nouveaux continents sur les quels l’école pourra renaître?
Je m’aperçois que je n’ai pas répondu à votre requête… Comment y répondre ? Comme si j’avais la réponse. Je ne peux qu’espérer.
Pourtant, j’avais déjà utilisé cette image géologique de la collision de deux plaques tectoniques dans ce billet https://www.culture-numerique.fr/?p=323 et, pour le coup, j’avais proposé la surrection d’un nouvel édifice grandiose comme issue possible, après quelques cataclysmes.
Je crains qu’on ne puisse éviter ces derniers. C’est là tout le problème.
D’ici la réalisation de cette nouvelle structure scolaire je vous souhaite un bon Noël . . . Et qui sait quelles nouvelles inspirantes et passionnantes questions émergeront en 2015 que je vous souhaite pleine de santé.
Merci Ninon Louise. À vous aussi ainsi qu’à tous ceux qui nous lisent.
Billet très intéressant ! Concernant la partie évaluation, ici à l’Université de Lille, nous utilisons le logiciel Open ( http://www.hificom.net/examens_numeriques.php ) qui permet de greffer tout un tas d’outil derrière les examens comme par exemple l’analyse des réponses des étudiants. Ceci dans le but d’identifier des notions qui n’auraient pas été comprises qu’on peut ensuite revoir en cours.