De retour de Ludovia 2013… Avant toute autre chose, je souhaite remercier ici Aurélie Julien et Éric Fourcaud de m’avoir invité. Leur disponibilité et leur gentillesse respectives étaient à la hauteur de l’événement.
Donc j’étais parti plein de courage, et j’avais promis à tous d’écrire un billet par jour. Je n’ai pu, finalement, n’en écrire qu’un seul ! De quoi ai-je l’air ? Mes chroniques axéennes sont réduites à peau de chagrin…
Pourtant, depuis mon retour, les images de ce Ludovia ne cessent de tourner dans ma tête, me rappelant les bons moments que j’ai passés là-bas, les plus nombreux, mais aussi les autres, moins agréables, parce qu’ils attisent ma bougonnerie congénitale.
Je ne vais aujourd’hui m’attarder que sur deux d’entre eux, dont les organisateurs ne sont nullement responsables, et que j’illustrerai par deux verbes.
Lire.
L’occasion m’a été donnée, en passant, de m’attarder sous le chapiteau du colloque scientifique qui s’est déroulé tout au long de la durée de l’événement. Du lundi au jeudi, se sont succédé à la tribune de nombreux chercheurs qui sont venus dire l’état de leur réflexion à propos des imaginaires numériques, éducatifs, artistiques, ludiques, etc.
Eh bien, dans ce haut lieu du numérique qu’est Ludovia, parfois pourvus d’un vidéo-projecteur qui faisait défiler des diapos peu lisibles, ces grands experts lisent. Oui, vous m’entendez bien, la plupart d’entre eux — il y a eu des exceptions, à commencer par Marcel Lebrun, plutôt volubile — s’assoient à la tribune et lisent, qui leur thèse, qui leur travail de recherche, qui le contenu de leur dernière publication, ils lisent, d’un ton monocorde et miséreux, l’œil glauque vissé sur leur feuille de papier ou leur ordinateur, ils lisent !
Ils lisent sans jamais lever l’œil vers leur auditoire, affichant ainsi et résolument à son égard un mépris assourdissant.
À quoi pensent-ils en tournant d’un doigt ou d’un clic moroses les pages de leur opuscule ? Nul ne peut le savoir tant les interactions attendues — des clins d’œil, des sourires, une connivence — sont rarissimes !
Attention, je ne veux ici que m’attarder sur la forme de leur discours et non sur le fond, passionnant le plus souvent, sans doute… Mais comment un scientifique peut faire passer un message riche, enthousiaste et convaincu, complice aussi, qui se voudrait convaincant, à des gens qui sont venus boire ses paroles s’il se contente de lire ?
Il paraît que cette vieille coutume des chaires universitaires du millénaire dernier — car j’ai déjà vu ça ailleurs, Ludovia n’en a pas l’exclusivité — ne semble pas disparaître, me dit-on…
Je vais être clair : ces gens-là n’ont rien compris au numérique et à la manière dont évoluent les rapports des apprenants aux connaissances disponibles. Leur imaginaire est bien pauvre s’ils pensent encore, en se contentant de lire, pouvoir faire connaître leurs travaux, diffuser leurs savoirs, échanger leur point de vue avec celui de ceux qui les écoutent…
Mais le souhaitent-ils ?
Échanger
La transition est toute trouvée.
Ce mot, en parallèle de son alter ego « partager », est au centre des évolutions sociétales permises par l’avancée du numérique.
Et pourtant… On n’a pas beaucoup échangé sur les tables rondes de Ludovia. Oh ! il n’y avait pas toujours de brillants animateurs capables de relancer un intervenant, de pointer les contradictions, de mener des débats… La plupart du temps, chacun présentait son point de vue sur le sujet — oui, même sur ces tables rondes, j’ai vu des participants lire leur texte ! — dans le temps imparti puis pouvait se rendormir paisiblement car on ne lui redonnait plus guère la parole.
Il y avait bien débat, cependant, sur la très grande majorité des sujets évoqués. Mais, au-delà de ces tristes présentations « en silos », c’était la salle qui interagissait, qui interpellait, qui critiquait parfois, qui donnait simplement son avis sur ce qui se disait, via les réseaux sociaux, via Twitter de manière usuelle.
Très peu d’animateurs, encore moins d’intervenants ont su saisir cette opportunité d’ouvrir le débat, de donner ainsi la parole à la salle et d’échanger. Si cette possibilité a parfois été donnée, c’est toujours en ne tenant aucun compte des participations écrites nombreuses et en donnant la parole, de manière orale, à ceux de la salle qui n’avaient pas grand chose à dire… Et de quelle manière ! « Vous avez des questions ? » sur le modèle traditionnel de la salle inculte censée écouter et interroger les experts !
Quel gâchis ! Ce modèle a vécu…
Une exception pourtant : à l’occasion de la table ronde, mardi 27 août au soir, dont le sujet « L’éducation nationale face à la dialectique entre promesse politique et imaginaire technologique » et la disponibilité des participants ont enfin permis quelques échanges, l’organisation a fait l’expérience d’un mur de tweets qui aurait pu permettre les interactions. Malheureusement, ce mur, aux couleurs trop agressives, à l’affichage très perturbant, placé dans le dos des intervenants plutôt que sur le côté, de manière alors plus discrète, n’a pas permis, lui non plus, les interactions avec une salle pourtant fort vive et imaginative !
Une tentative intéressante, pourtant, à renouveler…
L’an prochain ?
En attendant, s’il n’a pas toujours été possible d’échanger dans les salles et sous les chapiteaux, c’est le point fort de Ludovia d’ouvrir des temps et des espaces pour permettre, le verre à la main parfois, les échanges informels entre tous les participants, quel que soit leur rang ou leur statut. De ce point de vue, Ludovia est une vraie réussite et j’aurai évidemment plaisir à y revenir.
Michel Guillou @michelguillou
Crédit photo : Frabuleuse via photopin cc
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