Voilà plus de deux ans, je m’interrogeais sur les stratégies institutionnelles en matière d’utilisation des réseaux sociaux, Twitter en particulier (1). Une manière sans doute pour moi d’observer ces stratégies de communication et de mesurer les progrès et les adaptations liés au numérique. Les gazouillis académiques autant que ministériels ne commençaient alors qu’à peine à se faire entendre dans une twittosphère qui bruissait déjà de l’activité généreuse et de la veille de nombreux professeurs et autres acteurs de l’école, à travers les Twittclasses, par exemple.
Déjà, à cette époque, j’avais noté la petite avance prise par le ministère, ses services de communication bien sûr. À l’époque, @educationfrance était lu par un peu plus de 88 000 abonnés mais ne s’était abonné lui-même qu’à 85 comptes, tous comptes des grands corps de l’État…
« Le ministère ne s’est abonné à aucun compte individuel ou collectif hors institution. Aucun personnel de la maison, technicien, professeur ou même recteur, aucun élève, aucun syndicat, aucune association travaillant dans le champ de l’éducation n’a donc droit de faire partie du gotha. Ni le ministre ni même l’obscur communicant qui œuvre à nourrir ce fil d’information officiel n’accèdent, à aucun moment, aux nombreuses et riches contributions de la base, aux projets de classe, aux questions ou interpellations directes, aux bonnes idées du terrain, aux simples commentaires. »
Aujourd’hui, qu’en est-il ?
Le nombre d’abonnés à cru de manière très importante, atteignant plus de 237 000. En revanche, la communication ministérielle n’a daigné s’abonner elle-même qu’à 200 comptes, très exactement, liste dans laquelle, au-delà des grands corps internes ou externes déjà notés, on observe la présence de quelques associations partenaires ou même de quelques personnalités, la ministre bien sûr mais aussi la directrice générale de l’enseignement scolaire et le directeur des systèmes d’information du ministère. Mais toujours aucun recteur ! La directrice du numérique pour l’Éducation elle-même n’en fait pas partie. Nouveauté ! sont présentes dans cet aréopage deux comptes de classes du premier degré : @CE1_CE2_gaujacq et @classe_N1000. Pourquoi seulement celles-là ? Allez savoir !
C’est dommage et assez symptomatique d’une certaine manière de concevoir la communication, à la manière du siècle dernier. Cette dernière est pensée d’en haut et délivrée au peuple qui doit s’en nourrir. Et éventuellement participer à sa diffusion.
Une communication d’un autre âge qui ferait comme si le numérique n’était passé par là… Passe encore que le web et ses prolongements archaïques que constituent les lettres d’information ou « newsletters » s’accommodent de ce style de communication centralisée mais il conviendrait d’expliquer à ceux qui s’en chargent que les réseaux sociaux mettent justement en œuvre la fameuse horizontalité réticulaire si chère à certains Cristoliens amis et si propice aux échanges de ce millénaire ! Les médias ont commencé à le comprendre, c’est économiquement vital pour eux, il conviendrait maintenant que l’école et ses institutions s’y mettent aussi.
Il y a pourtant tellement de bonnes et belles idées qui émanent du troupeau des cadres, des enseignants ou qui sont émises par les élèves eux-mêmes, dans ou hors le cadre de la classe et qui mériteraient d’être questionnées, retweetées et ainsi valorisées ! Par ailleurs, en s’abonnant massivement à tous ceux des abonnés qui affichent leur identité de professeur ou de parent ou d’élève…, le ministère pourrait utilement constituer des listes (de professeurs de mathématiques, de musique…, de CM2…, d’inspecteurs d’anglais…, que sais-je encore ?) qui pourraient à la fois contribuer à stimuler les échanges et servir à tout le monde pour faire un peu de tri dans les « timelines », par exemple.
À noter la création récente, en juillet dernier, du profil @edu_num, compte officiel de la DNE, direction du numérique éducatif, qui compte déjà 2 288 abonnés.
Quid du côté des académies ?
En 2012, un certain nombre d’académies, Aix-Marseille, Amiens, Créteil, la Guadeloupe, Limoges, Lyon, Mayotte, Nancy-Metz, Orléans-Tours et Reims n’avaient pas encore leur compte Twitter. Deux ans plus tard, Créteil, Nancy-Metz et Reims se sont lancées dans l’aventure comme on dit, et plutôt de belle manière. Limoges a publié deux (2 !) tweets mais s’est créé un compte protégé ! Un comble ! Sans autre commentaire.
Mais le plus incroyable, c’est que d’aussi grandes académies qu’Aix-Marseille, Lyon et Orléans-Tours, et, dans une moindre mesure, Amiens, la Guadeloupe et Mayotte, ne se sont toujours pas engagées dans l’animation de leur académie sur les réseaux sociaux ! Attendent-elles 2020 ?
Quelle information produire ?
Il ne faut pas s’attendre à des miracles. De manière très scrupuleuse, les chargés de communication à qui on a confié la mission d’utiliser Twitter pour faire vivre les comptes ainsi créés dans les 25 académies reproduisent très exactement les modèles ministériels. Des consignes ont-elles été données ? Un stage organisé ? Ainsi, par exemple, tout récemment, Besançon :
Retrouvez toutes les dates d'inscriptions aux examens http://t.co/NQk9gBb76d
— Académie de Besançon (@acbesancon) October 6, 2014
Ces tweets strictement informatifs et utilitaires constituent l’essentiel des productions académiques. On informe sur les dates, les événements, les vacances, la rentrée, les grèves, les événements climatiques… De même, l’agenda du recteur est strictement reproduit, même quand son activité n’a que peu de rapport avec la mission qui lui a été confiée. Ainsi, à Dijon, tout récemment :
Le recteur s'est rendu ce matin à l'inauguration de la foire gastronomique ! pic.twitter.com/nck3WP0FkL
— Académie de Dijon (@AcademieDijon) October 31, 2014
Plus rarement, beaucoup plus rarement, sont mises en valeurs, quelquefois avec des photographies jointes, les activités des classes à l’occasion de sorties, comme ci-dessous en Guyane, ou lors des rencontres sportives ou des remises de récompenses :
#SuivezLesEtabs > Première session Kayak 2014 [Collège Lise Ophion] pic.twitter.com/9hWaZweEsT
— Académie de Guyane (@acguyane) October 28, 2014
À noter l’utilisation par le rédacteur du tweet ci-dessus du mot-balise ou « hashtag » #SuivezLesEtabs qui semble assez bien témoigner de la volonté guyanaise de mettre en valeur le travail des classes. C’est la coutume là-bas et c’est très bien ainsi… Mais cette volonté est très loin d’être partagée en métropole.
Pour ce qui concerne les republications ou retweets, il ne faut pas là non plus, s’attendre à des miracles. On se contente de retweeter les productions des Canopé locaux, de l’ESPÉ du coin, du ministère bien sûr, de la collectivité territoriale parfois et c’est tout ! Je n’ai pas lu bien sûr l’ensemble des 17 000 tweets produits par les académies mais il ne m’a pas semblé qu’on ait jamais reproduit un tweet écrit par un professeur, un chef d’établissement, un inspecteur…
J’avais noté, en 2012, qu’à Paris, contrairement aux pratiques généralement observées, celle ou celui qui animait le fil Twitter parisien prenait la peine, non seulement de lier le compte académique en retour des nouveaux abonnements, mais encore de répondre aux questions posées. Manifestement, c’est très loin d’être une attitude partagée. On ne condescend pas, dans ces milieux-là, figurez-vous, à répondre aux questions des abonnés ni même à interagir avec eux. Sauf peut-être, de manière très exceptionnelle, à la Réunion :
@DelphineFalmet Bonjour, votre demande est transmise à la délégation académique au numérique éducatif et à Canopé Réunion.
— Académie de La Réunion (@AcLaReunion) October 22, 2014
Un bilan quantitatif… mais pas seulement…
Indiscutablement, certaines académies sont actives et mettent du cœur à l’ouvrage. Elles produisent beaucoup d’informations de qualité et ont de très nombreux abonnés ou « followers », les deux faits étant évidemment liés. C’était déjà le cas en 2012 avec Nantes, Guyane, Besançon, Paris, Poitiers, Versailles et Rouen. Il convient aujourd’hui d’ajouter à cette liste Nice, Créteil et Reims qui ont toutes produit plus de 1 000 tweets et d’en retirer Besançon dont l’activité s’est un peu essoufflée, malgré ses plus de 3 000 abonnés.
L’académie de Paris, qui ne pèse que moins de 3 % de la population scolaire totale, recueille déjà près de 10 000 abonnés, chiffre assez considérable. Cette académie, je le répète, au-delà son activité qualitative qui peut légitimement être qualifiée d’animation de la communauté éducative, s’est elle-même abonnée à plus de 5 000 comptes, et ce depuis seulement moins de 3 ans.
Pour ce qui concerne le nombre de tweets, voir ci-dessous, c’est Versailles qui tient le haut du pavé avec largement plus de 6 000 tweets en plus de 5 ans. Après tout, rien que de plus normal, Versailles est la plus grosse académie de France, soit plus de 9 % de la population scolaire totale.
En revanche, l’académie de Clermont-Ferrand réussit l’exploit d’avoir 667 abonnés alors qu’on attend encore son premier tweet ! De manière plus générale, il convient d’observer que moins de 200 tweets sont sortis des machines de Strasbourg, Montpellier, Rennes, Corse, Grenoble, Lille, la Réunion, la Martinique et bien sûr Clermont-Ferrand, alors que les comptes ont été créés depuis belle lurette, la plupart d’entre eux en 2009. C’est vraiment très peu, eu égard au nombre parfois important d’abonnés qui attendent et espèrent des informations.
Ainsi, à Montpellier et Strasbourg, plus de 3 400 abonnés ont vu passer en 5 ans environ 150 tweets, soit moins d’une information par semaine. C’est franchement misérable !
« C’est le pair à pair qui va devenir la norme de l’échange. Si les comptes institutionnels veulent continuer à être utiles et fonctionnels, leur culture et leur posture doivent changer pour se mettre au niveau où sont tous les internautes. Il leur est donc indispensable de s’abonner, en retour à un abonnement ou préalablement à ce dernier, aux comptes des internautes « honnêtes » et, sans négliger l’information émise par l’institution, de relayer les contenus de qualité qu’ils proposent. »
C’est avec ces mots que je concluais mon billet à ce sujet, il y a 2 ans. Je n’en retire pas un mot car rien n’a vraiment changé. Les académies, leurs recteurs et leurs services de communication n’ont pas pris la juste mesure des profondes modifications et mutations posturales engendrées par l’immersion de la société dans le numérique. J’engageais, il y a peu (2), les cadres pédagogiques à se lancer de manière résolue dans l’animation des communautés d’enseignants dont ils ont la charge. Il va de soi que le modèle est le même pour les chefs d’établissements, les cadres administratifs des services départementaux et académiques, le recteur au premier chef. Le numérique va contraindre tous ces gens-là à se muer en animateurs — oh ! c’est une mission qu’ils vont peut-être déléguer, dans un premier temps, avec de solides consignes — des communautés éducatives, dans toutes leur diversité, professeurs bien sûr, parents, élèves mais encore techniciens, cadres administratifs et pédagogiques, agents de service…
C’est le parti pris par certains recteurs aujourd’hui sur Twitter, Pierre-Yves Duwoye pour l’académie de Versailles ou François Weil pour l’académie de Paris, de manière encore bien timide puisqu’ils se contentent généralement de retweets. Côté numérique, certains délégués académiques ont créé un compte pour eux-mêmes ou pour leur service : c’est le cas à Nice avec @dane_acnice, à Créteil avec @danecreteil, à Orléans-Tours où la DAN soi-même a un compte.
Mais toutes ces attitudes, si nobles soient-elles, restent à la fois encore bien timides et surtout trop peu nombreuses. Il en va de même de cet autre réseau social, un peu plus compliqué à manipuler certes, qu’est Facebook, largement utilisé par certains médias pour fédérer sur les pages ad hoc la participation des communautés. À ma connaissance, on ne compte que quelques rares comptes Facebook académiques dont 4 pages, à Paris, Nantes, Rouen et Créteil. Dommage ! car les jeunes, les élèves y sont bien plus nombreux encore.
Rendez-vous dans deux ans.
Michel Guillou @michelguillou
Crédit photo : jrmllvr et Eric Béginvia photopin cc
- Académiques gazouillis https://www.culture-numerique.fr/?p=481
- Inspection pédagogique : vers l’animation de communautés en ligne ? https://www.culture-numerique.fr/?p=1749
[cite]
Michel, je vous invite à regarder de plus près ce que fait Eduscol sur Twitter et aussi sur leur page Facebook (mais je suis certain que les 2 comptes figurent déjà dans votre veille). Cela est intéressant.