C’est la question que pose fort à propos Numérama en commentant ce matin le communiqué de presse du ministère qui annonce la création de cette DNÉ.
« Reste à voir si l’éducation nationale est capable de modifier complètement son paradigme, en passant de la volonté de créer des têtes bien pleines, à une volonté de créer des têtes bien faites. A l’heure où la connaissance est à portée de clics et de doigts sur un écran tactile, l’enjeu de l’éducation numérique est moins d’apporter des outils pédagogiques numériques que d’apprendre à apprendre dans un environnement d’abondance de connaissances et d’informations. »
Ce sont en effet certaines des bonnes questions qui sont posées aujourd’hui au système éducatif. Cette dimension paradigmatique confronte l’école obligatoire de la République à un des défis les plus importants qui se soient jamais posés à elle, n’en déplaise à tous ceux — et ils sont nombreux, à commencer par la plupart des professeurs formateurs en ÉSPÉ, des militants des mouvements pédagogiques, des cadres du système, au ministère, dans les rectorats et les directions départementales… — qui ont certes compris l’importance du numérique mais ne lui concèdent qu’une fonction strictement utilitaire, au service exclusif d’une pédagogie rénovée.
Alain Finkielkraut, dont les prises de position réactionnaires sont légion sur le sujet mais qui a l’immense mérite de nous faire beaucoup rire, ne disait pas autre chose l’autre jour. Après avoir dit en 2011 qu’Internet ne servait à rien, il concède aujourd’hui que le numérique et Internet peuvent rendre des services. La très grande majorité de ceux dont j’ai donné la liste supra sont exactement sur la même longueur d’onde.
J’ai déjà dit que j’avais une confiance absolue et résolument optimiste en Catherine Becchetti-Bizot dont la mission pour la mise en place de cette DNÉ est confirmée. Numérama rappelle d’ailleursmes commentaires de l’été dernier au sujet de sa nomination pour engager ce chantier. J’ai déjà dit aussi par ailleurs la confiance que j’avais dans le travail engagé par Alain Boissinot à la tête du Conseil supérieur des programmes. Ce chantier des contenus d’enseignement et des examens est d’une importance considérable, déterminante. J’y reviendrai. Puisse-t-il être en capacité de faire les propositions innovantes qui mettent la pédagogie en accord et en harmonie avec le temps numérique ! Je suis d’ailleurs particulièrement heureux d’observer que Catherine Becchetti-Bizot et Alain Boissinot sont, tous deux, inspecteurs généraux de lettres. Puissent-ils alors prendre les initiatives qui conviennent pour donner aux chantiers qu’ils pilotent l’orientation et la coloration qui engagent les programmes et le développement du numérique éducatif dans la voie d’une translittératie numérique et médiatique plus humaniste…
J’ai déjà évoqué certaines des orientations pédagogiques nécessaires, certaines des mutations profondes qui sont engagées, dans d’autres billets. J’y reviendrai, bien sûr, au fur et à mesure que j’y verrai plus clair.
Non, dans ce billet, je me contenterai de donner, en toute modestie, trois conseils à Mme Becchetti-Bizot, conseils dont elle fera ce que bon lui semble, pour faire évoluer la stratégie du gouvernement en matière de numérique éducatif, qui me semblent modifier très sensiblement ce qui se fait aujourd’hui et aller dans un meilleur sens.
D’une logique de distribution de services centralisés à la valorisation et la mise en cohérence des initiatives locales
Le communiqué de presse rappelle la création d’un certain nombre de services en ligne déjà ouverts au service de l’éducation prioritaire, de l’enseignement des langues, des apprentissages fondamentaux, parmi lesquels services un portail de ressources et un dispositif de formation en ligne pour le premier degré. Ces services sont destinés à s’élargir et, espérons-le car ce n’est pas encore le cas, loin de là, à s’ouvrir très largement à tous les publics, dont, bien sûr, les adultes, les parents, et l’éducation populaire.
Aussi intéressants et novateurs soient-ils — j’ai un léger doute quant à ce deuxième qualificatif — ils ne peuvent résoudre tous les problèmes, répondre à toutes les préoccupations.
Bien au contraire, la stratégie de la DNÉ et du ministère doit, à terme et a contrario, s’orienter vers la valorisation et la mise en cohérence, en adéquation avec les objectifs centraux, des initiatives locales, d’où qu’elles viennent, qui pour produire des ressources de toutes sortes, qui pour mettre en place des dispositifs de formation en ligne, favorisant les démarches ouvertes pair à pair et les ressources libres.
Il faut clairement comprendre, comme le dit d’ailleurs Alain Boissinot, que les choses ont changé :
« Nous sommes aussi sortis d’une logique où l’institution pouvait prétendre fixer depuis la rue de Grenelle, en ayant consulté quelques experts, si compétents soient-ils, l’ensemble des pratiques pédagogiques que devaient mettre en œuvre tous les enseignants de France »
Puisse aussi la nouvelle structure Numérilab contribuer à cette valorisation des initiatives locales innovantes !
D’une logique d’injonctions sclérosantes à l’animation des communautés
Dans le même ordre d’idée, il conviendra, je crois, que la DNÉ prenne en charge la formation de l’encadrement pour le mettre, lui aussi, en adéquation avec les modifications structurelles, sociales et hiérarchiques que le numérique engendre.
Les hiérarchies administratives et pédagogiques, de manière plus forte encore dans le premier degré, sont désespérément incapables de fonctionner autrement que via un pilotage descendant directif et injonctif qui ne laisse aucune place, comme déjà évoqué ci-dessus, aux initiatives locales. Ces dernières sont au mieux réprimées, le plus souvent niées et oubliées.
Bien au contraire, les cadres devraient avoir pour mission, laquelle pourrait être provisoirement déléguée en attendant que tout le monde se forme, d’animer des communautés d’enseignants, réunies sur des objectifs disciplinaires ou transversaux.
Je veux en témoigner ici : certains inspecteurs l’ont déjà compris qui savent se mettre en retrait et susciter la réflexion, le débat et la confrontation des idées pour faire émerger l’innovation et la rendre, quand c’est possible, modélisable. C’est dans ce sens qu’il faut aller.
D’une logique d’une valorisation des usages à la valorisation des engagements
Comme déjà évoqué dans un billet récent, les structures centrales ou locales qui accompagnent le développement du numérique éducatif, n’ont que le mot « usage » à la bouche, dont j’ai déjà dit tout le mal que je pensais de son acception passive et exclusive.
En deux mots, il convient, je crois, de changer là aussi le vocabulaire et le génome. Ce sont bien les engagements, volontaires, décidés, actifs, portés en cela par les nécessaires modifications des programmes et des examens, qu’il faut encourager, animer — voir le point précédent — valoriser et, pourquoi pas ?, récompenser.
Cet engagement de tous les acteurs, les élèves bien sûr, mais aussi les professeurs et les cadres, est le préalable à toutes les réussites, notamment pour ce qui concerne la formation initiale et continue, quelque forme qu’elle prenne.
La formation n’est vraiment utile que si celui qui y participe montre vraiment sa résolution et son engagement.
J’ai noté aussi, pour terminer, que la Direction est par ailleurs dotée d’une compétence générale en matière de pilotage et de mise en œuvre des systèmes d’information. Puisse-elle réussir aussi dans ce projet car il y a vraiment tout à faire en la matière, de telle manière à mettre enfin, car c’était loin d’être le cas partout, du ministère aux rectorats, les services… au service de la pédagogie et de son engagement numérique !
Michel Guillou @michelguillou
Crédit photo : marfis75 via photopin cc
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