Ce billet est tout sauf un marronnier. Au moment où personne ne parle du baccalauréat ou des examens, c’est pourtant l’actualité qui oblige à y réfléchir et, notamment, à évoquer les modalités de passage de ces derniers en fin de collège ou de lycée. Parmi les événements notables, il faut remarquer que se multiplient les offres d’objets connectés, lesquels devraient bientôt se vendre comme des petits pains à l’approche des Fêtes de fin d’année.
Quel rapport avec le baccalauréat ? me direz-vous…
La Maison des examens ou SIEC l’a très bien compris, elle… Son directeur, dès le 17 juin dernier, informait les chefs de centre d’examen du baccalauréat de la possibilité de fraudes à l’aide de montres connectées — voir le fax (!) ci-contre reproduit dans cet article d’Arrêt sur images.
Et notre bon directeur de reproduire, avec la qualité approximative que vous devinez, des photographies des dites montres dont les professeurs surveillants doivent traquer la présence. L’auteur de l’article en référence fait justement remarquer qu’il n’y a pas plus ressemblant à une montre qu’une montre connectée et qu’il est tout à fait impossible, sauf à empêcher les candidats d’avoir l’heure — nous verrons plus loin qu’il y a d’autres solutions —, de repérer et sanctionner qui ou quoi que ce soit.
Le Nouvel Obs, dans un article qui reprend l’information précédente, fait justement remarquer que certains fabricants, comme le croate 24kupi.com, en font un argument de vente, voir ci-dessous.
Ces articles, à la suite de l’alerte de la Maison des examens, ne font mention, parmi les objets connectés, que des montres. Mais ils sont beaucoup plus nombreux maintenant que cela ! Les marchands nous proposent des lunettes, des bracelets, des stylos bien sûr mais même des ceintures, des chaussures, des t‑shirts ou des pantalons. Les handicapés ont même droit à des fauteuils roulants ou à des prothèses auditives connectés.
La consultation de quelques sites spécialisés en ligne suffit pour s’en convaincre : l’offre devient très diverse et pléthorique.
Comment faire face ? Il va de soi que, même expert de la chose, le professeur surveillant ne peut être efficace et observer et détailler l’ensemble des accoutrements des candidats ! Qui oserait aller regarder sous le fauteuil d’un handicapé pour savoir — et comment ? — s’il est connecté ?
Il existe même des vidéos en ligne pour apprendre à frauder avec ces montres connectées :
Faut-il rappeler que l’adjectif « connecté » signifie que l’objet en question bénéficie, cela va de soi, d’une connexion à l’Internet et à ses données — oui, oui, toutes les données, connaissances, expertises, analyses, comptes rendus de thèses universitaires, encyclopédies, etc. —, qu’il est utilisable et contrôlable à distance, qu’il dispose ou peut disposer d’application ou d’agents intelligents qui peuvent y compris, si besoin, détecter la présence d’un détecteur de communication.
En effet, je le rappelle, l’administration s’est dotée d’une flotte — elle n’a jamais communiqué sur son importance et sa localisation — de détecteurs de téléphones mobiles, détecteurs dont j’avais déjà dit qu’ils étaient techniquement incapables de tout repérer, appareils et protocoles utilisés, sauf peut-être l’appareil du surveillant de salle qui lit Le Monde en ligne. J’avais dit aussi et surtout, depuis deux ans, que cette escalade dans la répression technique était une erreur historique et une faute grave contre les jeunes (1) (2) (3) :
« J’avais parlé alors successivement de “faute morale de l’institution” puis de “politique de l’autruche” en qualifiant ainsi cette incapacité atavique et renouvelée de l’institution à ne pas vouloir voir, ne rien comprendre, ne rien vouloir changer, ne jamais anticiper, ne réagir aux évolutions de la société qu’en termes de répression et de censure technique, à accumuler les fautes, les bourdes anachroniques, les attaques méprisantes à l’encontre de sa jeunesse… »
Il y a urgence à réformer, en effet, j’y arrive
Car l’actualité à d’autres effets. Les événements de Hong-Kong dits « Révolution des parapluies » nous rappellent que les manifestants redoublent d’ingéniosité pour pouvoir continuer à échanger entre eux et faire connaître ce qui se passe, témoigner notamment des supposées violences policières, malgré la censure généralisée de l’Internet par les Chinois. Un article récent de Libération rapporte comment s’y prennent les jeunes pour y échapper : des applications permettent, sur les smartphones, de continuer à échanger, de proche en proche, textes, images et vidéos, via Bluetooth, et donc partager en l’absence totale d’Internet ou de réseau téléphonique.
C’est le cas de Firechat, par exemple, qui, rapporte Libération, a été téléchargée 100 000 fois par les Hongkongais en 24 heures.
Imaginez donc nos aspirants lauréats dans une salle d’examen, tous pourvus d’objets connectés et de Firechat ou d’applications équivalentes permettant d’échanger dans la salle d’examen même mais, bien sûr au-delà des limites de cette dernière, même en cas de brouillage de l’Internet ou je ne sais quelle turpitude inventée par le SIEC !
Réformer ? disais-je… Il y a urgence, en effet. Et il s’agit d’une urgence impérieuse, elle !
Comment imaginer continuer à évaluer de manière individuelle des élèves qui, bien souvent, à l’occasion d’activités de classe ou en travaux personnels encadrés, travaillent de manière collective, coopèrent ou collaborent sur des projets communs ? Il y a là un premier défi à relever pour l’institution… Mais le défi principal est ailleurs : le lycéen d’aujourd’hui est hyper-connecté, c’est un fait. Où qu’il soit, quoi qu’il fasse, sauf bien sûr lorsqu’il est évalué, il est en permanence, via divers moyens de communication dont d’abord les réseaux sociaux, connecté à des cercles de confiance qui lui fournissent assistance, accompagnement social et accès partagé à l’information et à la connaissance. Il sait se passer même, le plus souvent, de la médiation et de la supposée expertise du ou des professeurs, pour construire ses savoirs !
Et on voudrait continuer à faire comme si tout cela n’existait pas… Isoler un lycéen de ce siècle, se contenter de lui demander de restituer des connaissances, sur une table carrée avec un stylo bille et une feuille de papier — voir l’image en tête de ce billet —, est un crime contre l’éducation. Imaginer et déployer des arsenaux techniques sophistiqués pour mettre en œuvre ce qui ressemble à une sorte de castration sociale des candidats est un crime contre la raison.
Il n’y a pas d’autre solution, il faut s’en convaincre, que de changer les modalités d’examen, de tous les examens scolaires — bien sûr, l’université a pris de l’avance —, de changer le baccalauréat, de changer tous les modes d’évaluation ou de contrôle en cours de formation, mais aussi bien évidemment l’ensemble des programmes disciplinaires.
Il n’y a pas d’autre solution que de demander aux élèves et donc aux candidats de cesser de restituer des connaissances en proposant des épreuves où il s’agit plus de se servir des connaissances mises à disposition pour fournir des réponses argumentées et sourcées aux questions posées.
Il n’y a pas d’autre solution que de fournir ainsi aux candidats les moyens techniques d’accéder à Internet, de garantir ainsi l’égalité d’accès, par la fourniture d’ordinateurs bien connectés.
Et comme ce n’est pas possible encore, il est nécessaire de connecter correctement les lycées et autres établissements, de supprimer à court terme les examens finaux du diplôme national du brevet et du baccalauréat et, progressivement, d’augmenter le nombre des dispositifs de contrôle continu.
Progressivement. Mais sans tarder pour commencer. Et sinon ?
Sinon… revenons à nos Chinois, spécialistes de la censure, qui ont toujours de bonnes idées à ce sujet dont il convient de s’inspirer. Figurez-vous, en Chine, que les étudiants doivent passer au travers d’un détecteur de métaux avant les examens, nous rapporte, dans un article tout récent, le site digiSchool. De même, ont été interdits, pour passer les examens, les soutiens-gorge à baleines métalliques. Vous voyez que les Chinois ont de bonnes idées qui pourraient aider le SIEC dans son entreprise…
Mais il convient, je crois, de prendre aussi exemple sur l’Ouzbékistan qui, pour lutter contre la fraude aux examens, ne lésine pas sur les moyens. Ainsi, nous raconte encore digiSchool, les autorités ouzbèkes ont décidé de couper l’intégralité du réseau Internet dans tout le pays, SMS et MMS compris, pendant l’épreuve nationale. De plus, on fouille, ce qui est interdit chez nous, tous les candidats à l’entrée des salles d’examen.
Une suggestion, plus adaptée à nos mœurs permissives : pour éviter la répétition et l’augmentation des comportements de fraude chez nous, le meilleur moyen serait peut-être que nos bacheliers soient… nus.
Une table, un stylo, une feuille, c’est tout. Chiche !
Michel Guillou @michelguillou
Crédit photo : Mr_Stein et ccarlstead via photopin cc
- Baccalauréat : la faute morale de l’institution https://www.culture-numerique.fr/?p=529
- Baccalauréat : la politique de l’autruche https://www.culture-numerique.fr/?p=286
- Baccalauréat : le schisme culturel et l’abandon des jeunes https://www.culture-numerique.fr/?p=1041
[cite]
Très intéressant article mais je laisse perplexe sur la solution proposée. la compétence collective et collaborative est importante mais les tests papiers/crayons resteront d’actualité. Quelque soit la modalité par ordinateur ou dans une tablette avec ou sans connection les étudiants doivent prouver leur maîtriser des connaissances fondamentales de la matrice disciplinaire sinon on ne formera que des robots et des personnes disposant la pensée divergente.