C’est la grande tendance du moment et je n’en avais pas pris conscience encore. Il est de bon ton, en effet, aujourd’hui, de ne pas trop contester le numérique ou de ne le faire que mollement mais le consensus est assez grand de le réduire à une fonction anecdotique, secondaire, cosmétique, strictement utilitaire. J’en ai reçu des preuves récentes.
On concède du bout des lèvres qu’il est capable de rendre quelques menus services à la pédagogie.
Bon, mais outre qu’on vous explique qu’il conviendra d’évaluer tout cela plus précisément un de ces jours, on ajoute même qu’il convient d’en faire un usage circonspect et, surtout, c’est le mot du jour qu’on met à toutes les sauces, un usage responsable. Notamment de l’Internet qui fait peur à tout le monde, à commencer par nos dirigeants politiques qui n’y comprennent goutte.
Un usage responsable ? Comme si on pouvait être responsable de ses usages ! Comme si la responsabilité n’était pas indissociablement liée à l’action, à l’investissement, à l’engagement !
Par ailleurs, on parle d’usage responsable du numérique, des réseaux, de l’Internet ? Comme si tout cela était à côté de la société, à côté de la vie, en dehors du monde… Comme s’il y avait d’un côté la vie ordinaire, la vie réelle disent certains, celle de l’école, celle de la rue, et, de l’autre, celle du numérique ! Il y a bien longtemps que la société, l’économie, les services… ,les jeunes les premiers, se sont approprié le numérique et ses avancées. Il est tout à fait impossible, dès lors, pour ce qui concerne la responsabilité des investissements et des engagements personnels et collectifs, de faire la différence entre ce qui relève du numérique et ce qui n’en relève pas.
Il serait temps d’ailleurs que l’école se préoccupe de parler aux jeunes, les élèves dont elle a la charge, avec des mots qu’ils sont à même de comprendre. Ainsi, tout comme évoquer avec eux la vie privée leur semble généralement dénué de tout sens commun, évoquer leur responsabilité propre dans leurs pratiques avec le numérique ou l’Internet leur semble pour le moins incompréhensible. Pourquoi d’ailleurs serait-ce différent ?
Tout cela, cette incompréhension des enjeux, cette absence de vision sur ce qu’est vraiment le numérique, ce qu’il représente, ce qu’il porte, ce qu’il modifie… transparaît de manière évidente à la lecture des compétences du socle commun (dit de connaissances et de compétences qui est le cadre de la scolarité obligatoire, généralement à la fin du collège).
Il s’agit, rappelons-le pour en faire le tour, d’acquérir la maîtrise de la langue française, des compétences sociales et civiques, l’autonomie et l’initiative (compétences 1, 6 et 7), de pratiquer une langue étrangère (compétence 2), d’accéder à des éléments de mathématiques et à la culture scientifique et technique (compétence 3) et à la culture humaniste (compétence 5).
Mais — notez la différence de niveau de langue — il s’agit aussi (compétence 4) de maîtriser les techniques usuelles de l’information et de la communication !
J’ai déjà évoqué, à plusieurs reprises, mon peu de goût pour cette compétence et la place qu’elle tient dans le socle, comme pour le B2i dans ses différentes versions, qui lui sert d’appendice visible et d’ersatz de la compétence 4, le plus souvent.
L’alternative est alors assez simple :
- ou il s’agit d’acquérir des techniques et ces acquisitions peuvent tranquillement rejoindre les autres compétences au service de ces dernières, les seules apparemment suffisamment fondamentales, la compétence 4 pouvant être supprimée sans que quiconque s’en émeuve ;
- ou il n’est pas question seulement de techniques mais bel et bien, à l’égal des autres compétences, de l’acquisition d’une culture, la culture numérique en l’occurrence, et la compétence 4 peut garder une légitime place.
Je propose, pour appuyer ma préférence naturelle au deuxième choix, de donner donc un nouveau nom à cette compétence : la culture numérique. Tout simplement.
On perçoit ainsi mieux ce que s’attarder à maîtriser ces techniques, comme à en mesurer les usages comme on nous le propose avec cette appellation ridicule de « techniques usuelles » , uniques et cosmétiques objets d’études, a pu nuire à l’objectif essentiel qui consiste à vérifier l’acquisition de la seule compétence qui compte vraiment, l’acquisition des éléments d’une culture numérique globale.
Il est plus que temps, comme on a commencé à le faire doucement, de modifier de manière radicale l’approche. Ainsi, il convient de cesser, comme je l’avais déjà proposé dans ce billet, d’utiliser ces « T » et ces « U », pour techniques et usages, à tous propos, de faire donc table rase de tous ces acronymes abscons, réducteurs et handicapants que sont les Tice et les TUIC, qui ont donné moult dérivés relatifs aux fonctions comme Ctice, Ptice, Atice… pour ne laisser que la seule référence au numérique et, pour le distinguer dans son acception scolaire, au numérique éducatif.
Pour en revenir à mon propos initial, c’est ce que n’ont manifestement pas compris les tenants du numérique technologique utilitaire, tenants parmi lesquels on compte de nombreux publics, hors et dans l’école, mais, pour n’en distinguer qu’un seul à l’intérieur, la plus grande partie de l’encadrement administratif et pédagogique.
Convaincre et former ce dernier, du haut en bas de la hiérarchie, à une compréhension culturelle globale du numérique qui intègre les littératies médiatiques et informationnelles, au même niveau que les autres cultures de l’école et au service de ces dernières, est un enjeu fort de la stratégie à venir de la toute nouvelle direction du numérique éducatif.
Puisse-elle s’en convaincre elle-même !
Michel Guillou @michelguillou
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